L'édition des 20 ans de Japan Expo a eu lieu à Paris-Nord Villepinte du 4 au 7 juillet 2019. Dans ma série de comptes rendus, je reviendrai sur les nouveautés de l'événement avec aussi une vision plus globale dans un dernier article. Pour l'heure, je me concentre sur les conférences auxquelles j'ai pu assister, en commençant avec les invités d'honneur ancienne génération, à savoir Hiroki Goto, Leiji Matsumoto, Gô Nagai et enfin Yoshiyuki Tomino.
Hiroki Goto a été le rédacteur en chef du Weekly Shônen Jump de 1986 à 1994 mais il a été surtout un témoin privilégié de l'évolution de l'hebdomadaire japonais quasiment depuis sa création étant donné qu'il a rejoint le magazine en 1970 soit 2 ans après son lancement. Le Weekly shônen Jump part d'un concept novateur pour l'époque avec un public visé adolescent dans la tranche des 10 à 15 ans alors que les autres magazines ciblaient les jeunes gens de 20 ans. Une autre particularité a été de proposer un produit avec uniquement du manga et rien d'autres, sans aucun mélange avec d'autres thématiques telles que des actualités ou encore des photos de chanteuses populaires qu'on trouvait dans les titres de la concurrence.
Cette conférence du jeudi s'est poursuivie avec une énumération professorale des titres clefs du Jump en suivant un autre chronologique. Si sur le forme la présentation pouvait paraître austère, Hiroki Goto a expliqué le pourquoi de l'importance de chacun des titres retenus, avec parfois aussi quelques anecdotes.
Le premier manga phare retenu a été Harenchi Gakuen / L'école impudique de Gô Nagai publié dès 1968. Comme son nom le laisse deviner, il est question d'élèves subversifs et de petites culottes et le titre a fait scandale, en offrant une belle notoriété au Weekly Shônen Jump au passage. Le scandale ne venait pas tellement des scènes de nudité en elles-même mais de la représentation caricaturale des professeurs qui participaient aux méfaits. Cet irrespect envers une profession portée sur un piédestal a choqué la société japonaise.
Le deuxième titre cité a été Otoko Ippiki Gaki Daishô de Hiroshi Motomiya, sorti peu de temps après. C'est plus qu'un simple manga de baston et au fil du récit, il se transforme en critique sociale en mettant l'accent sur l'importance de la politique et l'argent, pas uniquement la force brute. En ce sens, le manga a marqué toute une génération de lecteurs.
Astro Kyûdan est un manga qui tient à coeur à Hiroki Goto parce qu'il s'agit de son premier projet où il a été éditeur dessus dès la début. Le récit traite de base-ball avec une volonté de toujours faire plus, c'est-à-dire non seulement de devenir un champion régional et national, mais aussi mondial et plus. Ce qui aboutit à des scènes improbables avec la présence des chutes de Niagara et de joueurs qui tombent du ciel. Le manga a innové ce genre d'escalade permanente et illimitée.
Kochikame est célèbre pour sa longévité et son record de 200 tomes reliés, compilant les chapitres publiés entre 1976 et 2016. Aux premiers abords, le succès a étonné Hiroki Goto car le personnage principal est un policier pas très sympathique entre 30 et 40 ans, pas le profil le plus seyant pour plaire à un public de jeunes lecteurs. En revanche, le côté touche à tout du protagoniste qui peut se transformer en agent immobilier et autres, a permis de multiples développements scénaristiques.
En 1979 est venu le tour de Kinnikuman /Muscleman. Le manga s'appuie d'abord sur une parodie des super héros mais la méthode a vite trouvé ses limites et seuls les plus jeunes suivaient le titre. Pour élargir le lectorat, les auteurs fans de catch ont eu l'idée d'en rajouter dans leur récit qui a rencontré un vif succès. Ils ont mis en place un schéma narratifs devenu maintenant classique avec des tournois, des personnages secondaires présentés pour les besoins de la compétition et surtout des cas de résurrections, les premiers du genre en manga.
Hiroki Goto a également sélectionné Dr Slump qui a débuté en 1980. Le manga d'Akira Toriyama a marqué l'histoire du Weekly Shônen Jump car il a touché un public féminin, ce qui a boosté les chiffres de vente. Hiroki Goto est revenu aussi sur les débuts d'Akira Toriyama en rappelant que c'est l'une des stars du Jump qui n'a jamais remporté de prix. Il a participé au concours de jeunes auteurs et a été repéré mais il n'a jamais gagné. Il avait des idées mais beaucoup de mal à raconter des histoire. L'ancien rédacteur en chef se souvient du travail important qu'il a fallu faire pour corriger ce défaut.
Les titres énumérés suivants ont été sans trop de surprise Captain Tsuabasa, Hokuto no Ken et l'incontournable Dragon Ball qui a permis au Jump de dépasser les 6 millions d'exemplaires vendus en une semaine.
Il a aussi été question de City Hunter, Saint Seiya, JoJo's Bizarre Adventure et Slam Dunk mais la conférence a pris du retard et je voulais enchaîner avec celle de Leiji Matsumoto qui commençait immédiatement après, à l'autre bout du festival. Hiroki Goto était invité par Kurokawa pour la promotion de son livre Jump - L'âge d’or du manga que vous pouvez vous procurer si vous êtes intéressés par le sujet.
Leiji Matsumoto est déjà venu à plusieurs manifestations publiques en France, notamment le festival d'Angoulême en 2013 ou encore en Juin 2018 à Paris. Mon premier "contact" avec lui date d'il y a 15 ou 20 ans avec un message qu'il avait enregistré à destination au public d'une convention en France. J'en avais retenu depuis que c'était un personnage, qu'il ne fallait pas prendre tout ce qu'il raconte au pied de la lettre et la très longue introduction qu'il a effectué à sa conférence à Japan Expo ne m'a guère étonné.
Pendant cette introduction, il a mentionné le lien étroit qu'il a avec la France. D'abord avec un ancêtre qui a fait partie de la première ambassade du Japon en Europe, qui a été au Royaume Uni, en France, aux Pays-Bas et en Prusse, entre autres. Ensuite, par son père, pilote d'avion et formé par un instructeur français via la mission Faure entre les deux guerres mondiales. Enfin, il a été marqué par la film Marianne de ma jeunesse de Julien Duvivier qui a laissé plusieurs traces. Le terme "galaxie" lui est resté en tête et l'héroïne lui a servi de modèle plus tard pour ses personnages féminins, notamment Maetel. L'une des répliques "Je sais que c'est mon destin que de te rencontrer" lui est aussi restée en mémoire et il se l'applique à son cas en pensant que c'était son destin d'aller en France. La France a été aussi le premier pays étranger où il a pu aller et où il a gardé un souvenir pérenne des armures, des boucliers et des armes.
Leiji Matsumoto se destinait à devenir pilote et a maîtrisé les bases avant qu'on lui découvre une myopie qui a mis fin à cette carrière. Cela ne l'a pas empêcher de piloter plus tard occasionnellement des avions à des époques plus permissives qu'actuellement, notamment au dessus de l'Amazonie et sur le Concorde Paris Rio. Son rêve serait de pouvoir diriger une fusée, en rappelant qu'il a un frère ingénieur qui a intégré l'agence spatiale japonaise.
Pendant ses études universitaires, il a passé plus de temps à suivre des cours d'aérospatial plutôt que de se concentrer sur son cursus littéraire. De cette période, il a retenu son long périple de 24 heures pour rejoindre Tôkyô depuis Kyushu en accumulant les galères. Cela lui a servi de matériel plus tard pour Otoko Oidon qui raconte les déboires d'un étudiant, un personnage dans lequel s'est reconnu beaucoup de ses lecteurs et qui lui a valu le prix Kodansha en 1972. Le manga lui a ouvert les portes du succès et il a pu enfin commencer à dessiner des histoires dans un sujet de son choix, l'espace.
L'auteur a aussi rappelé que toutes ses histoires étaient connectées. L'idée d'univers Far West pour Gun Frontier lui a été soufflée par son éditeur mais le récit est relié au reste en considérant que les personnages sont les ancêtres des protagonistes des autres séries plus proches les unes des autres, de Princesse Millenium à Galaxy Express 999, en passant par Harlock et consort.
Il a été aussi question d'Interstella 5555 fait en collaboration avec Daft Punk. Ces derniers sont venus le voir chez lui avec le projet et il les a conduit dans la foulée aux studios de la Toei Animation situés à 5 minutes de chez lui.
À propos du projet de trilogie Zero Century annoncé par Gainax en 2017 et qui devait s'appuyer sur ses travaux, Leiji Matsumoto n'a pas de nouvelle et a passé la main à d'autres pour suivre le sujet et leur fait confiance. Ce n'est pas inhabituel qu'il se mette en retrait et laisse faire, et il a rappelé l'exemple récent de Capitaine Albator - Mémoires de l'Arcadia, dessiné par Jérome Alquie.
La dernière question a concerné Ganso dai yojôhan ô monogatari, son seul film en prise de vue réelle où il a été crédité. En fait, sur son projet, dès que son nom a été mentionné, le compositeur des musiques a proposé de travailler gratuitement, pareil pour l'actrice principale. D'où le mention de son nom pour obtenir des ristournes pour le compte de la production.
Pendant la conférence, Leiji Matsumoto a composé une aquarelle avec les personnages d'Esmeraldas et Harlock, avant de recevoir un daruma d'honneur de la part du festival pour clôturer la rencontre.
Gô Nagai a fait son apparition sur scène le vendredi matin. Il est d'abord revenu sur son enfance, fortement influencé dès ses 4/5 ans par Lost World d'Osamu Tezuka, qui a été une source d'inspiration pour beaucoup de ses propres mondes. Son premier manga Kuro no shishi est un mélange de ninjas et d'extra-terrestres mais avec aussi des personnages historiques telle Jeanne d'Arc. Il se situe dans la lignée de la science fiction à la Tezuka.
Il est ensuite devenu assistant de Shotaro Ishinomori pendant 2 ans, où il enchaîne les travaux sur les décors sur Kamen Rider, entre autres. Cette expérience a amélioré sa capacité à dessiner, ce qui permet d'expliquer comment il a pu lui-même publier autant d'oeuvres dans la suite de carrière. Ishinomori avait la réputation de ne pas savoir refuser un travail, même si lui et ses assistants étaient déjà sous l'eau et Gô Nagai avoue être devenu comme lui.
Dans les années 1972 à 1976, il a coopéré avec la Toei sur des projets trans-médias à la fois anime, manga et surtout jouets. En 1971, il a publié les histoires d'un démon Mao Dante et à sa grande surprise il est épaulé par les producteurs de la Toei pour sortie une série télévisée sur le même registre alors que le mangaka pensait ceci impossible. C'était Devilman.
Le concept de Mazinger Z a germé un jour qu'il observait un embouteillage dans Tôkyô. Il s'est imaginé que les voitures pouvaient avoir des jambes et s'extirper de la circulation. Il a soumis l'idée aux producteurs de la Toei qui ont tout de suite voulu en faire un anime et un nouveau projet pour lui.
Le manga Mazinger Z a d'abord débuté dans le Weekly Shônen Jump dans lequel Gô Nagai dessinait depuis les débuts du magazine mais a continue une période de quelques mois de hiatus pour se poursuivre dans un autre titre de presse chez Kodansha. En fait, Gô Nagai ne pouvait publier pas ses autres séries violentes dans le Jump qui ciblait un jeune public. Ces titres n'avaient pas non plus de potentiel en terme de jouets et autres produits dérivés. En optant pour une publication ailleurs pour ces autres séries à caractère violent, Mazinger Z en a fait également les frais et a vu sa diffusion s'interrompre chez Sueisha.
Pour introduire Grendizer, supposé encore plus fort que Mazinger, le champion sur la Terre, l'idée s'est imposée que le nouveau robot ne pouvait venir que d'une autre planète. En conséquence des extra-terrestres ont été également amenés à apparaître dans l'histoire. Gô Nagai apprécie aussi bien les succès de Mazinger que de Grendizer même s'ils sont inégaux suivant les pays et après la sortie de Mazinger Z Infinity au cinéma, il est tout à fait prêt à refaire un remake similaire de Grendizer.
La conférence est également revenu sur son expérience de bande dessinée occidentale. Occasionnellement Gô Nagai avait effectué des illustrations pour le marché américain et une demande est venue de là-bas pour lui demander une œuvre au format comic, un one-shot Mazinger en 1988. La tâche a été difficile mais enrichissante et le dessinateur réitérerait l'expérience si une proposition lui était faite depuis les États-Unis ou l'Europe. Il achète beaucoup de bandes dessinées franco-belges.
En 2014, il a commencé Devilman Saga, un titre toujours en cours de publication. Cette nouvelle version se démarque du Devilman de 1972 avec d'une part un changement d'univers pour moderniser le concept et aussi une autre image du diable à destination du lectorat adulte du magazine seinen Big Comic et non plus de jeunes adolescents. Gô Nagai bénéficie d'une liberté totale de la part de la rédaction sur ce manga.
Le mangaka a ensuite dessiné des portraits de Devilman, Cutie Honey et Grendizer.
La conférence s'est terminée par la remise officielle de la décoration des arts et des lettres par le député Denis Masséglia à Gô Nagai.
Notez aussi l'exposition consacrée à l'oeuvre du maître avec beaucoup de travaux réunis mais aussi des produits dérivés et des statues à échelle humaine des robots géants. Certains auront peut-être remarqué l'absence de textes mais la validation de ceux-ci a été malheureusement refusée par les ayant droits japonais.
Du texte, il y en avait heureusement à l'exposition sur les 40 ans de Gundam, avec une revue de tous les anime sortis par la licence, avec un panneau sur chacune d'elle et là aussi beaucoup de contenu à présenter.
Ce qui m'amène naturellement à la conférence avec Yoshiyuki Tomino qui a eu lieu le samedi après-midi, principalement sous la forme d'une session de questions réponses avec le public, que je ne retranscrits pas forcément dans l'ordre pour faciliter la lecture.
Une première question a porté sur sa collaboration avec Mamoru Nagano, l'auteur de Five Star Stories avec qui il a travaillé sur Heavy Metal L-Gaim et s'il pensait retravailler avec lui un jour. Le réalisateur a répond par la négative avec une plaisanterie en déclarant que Nagano était devenu trop célèbre.
Son premier travail de réalisation a été Umi no Triton, une adaptation du manga éponyme d'Osamu Tezuka. En fait, il a fait un remplacement en pied levé et il a compris pourquoi le réalisateur précédent avait quitté le projet : Le matériel d'origine n'était pas très bon et l'adaptation était compliquée à faire. Heureusement pour lui, la production avait la pression parce que les contrats de diffusion sur les chaînes de télévision étaient déjà signés et quand il a dit qu'il fallait tout réécrire pour sauver le projet, cela a été accepté. Du coup, il a bénéficié d'une grande liberté.
Juste après la première série Gundam, Yoshiyuki Tomino a travaillé sur Ideon en 1980. Le concept était déjà très avancé avec le design déjà préparé notamment par le fabricant de jouets qui avait déjà lancé sa production. Sachant comment l'anime a évolué pour aboutir à un épisode final où cela se termine plutôt mal pour l'humanité à cause d'une technologie mal maîtrisée – donc pas très vendeur -, Yoshiyuki Tomino s'est amusé à rappeler que cela a du servir de leçon et qu'il ne fallait pas sortir les jouets avant l'anime.
Sur Reconquista in G, il a confirmé que l'absence des médias était voulue et s'expliquait par un premier cataclysme qui avait vu la quasi extinction de l'humanité qui s'est reconstruite mais n'a pas encore remis en place les chaînes de télévision et autres.
Après 40 ans de travaux sur Gundam, il a certifié avoir toujours la flamme pour créer d'autres personnages et d'autres univers sur la licence, en prenant pour preuve sa venue en France. En revanche, il ne pense pas revenir sur un projet sur Universal Century, la chronologie principale qu'il considère avoir conclue. Il ne souhaite pas non plus reprendre ses séries passées avec les moyens techniques actuels. Il considère qu'il a pu présenter ce qu'il souhaitait et comment il le souhaitait et cela lui convient encore.
Il n'a pas non plus de personnages préférés et pour éluder la question, il a déclaré qu'il les aimait toujours et en choisir un, serait comme dévoiler le nom de sa maîtresse.
Sur ses personnages féminins aux caractères bien forgés, il s'est contenté de signaler qu'il en rajoutait un maximum dans l'histoire et qu'il faisait attention à leur diversité, chacune étant différentes des autres comme dans la réalité.
Dans Muteki Chôjin Zambot Zambot 3, les enfants transformés en bombes humaines rejoignent son souhait de choquer le spectateur en rappelant les atrocités quotidiennes de la guerre. Les générations précédentes ont connu de telles horreurs mais pas les nouvelles. Sur ce aspect, Tomino revendique une approche volontairement cinématographique. Avant Gundam, le créneau télévisuel était destiné aux enfants et le réalisateur a utilisé la guerre pour changer de registre. Il considère que le cinéma d'animation peut sortir une grande variété de produits, autre chose que les films de Miyazaki.
En revanche, il sent qu'il a perdu face à Hayao Miyazaki quand il pense à des projets autres que dans le domaine des méchas. Il y a 20 ans, il avait cette envie d'explorer d'autres domaines mais avec le recul et l'expérience, il connaît ses limites et doit se contenter de ce qu'il peut vraiment faire.
Il trouve que tous ses projets ont été difficiles à mener, en y laissant beaucoup d'énergie mentale au passage.
Yoshiyuki Tomino a également eu droit à un daruma d'honneur de la part de Japan Expo.
Avant que la rencontre ne se conclut, la chanteuse miwa est ensuite venue le rejoindre sur scène pour interpréter A Red Ray, le 3e générique de la compilation télévisée de Gundam The Origin.