Quand il est question de pionniers du manga moderne, vous voyez revenir un certains nombre de noms célèbres, que ce soit Osamu Tezuka, Shotaro Ishinomori ou encore Keiji Nakazawa, l'auteur de Gen d'Hiroshima, disparu en décembre 2012. L'autre grand maître que vous pouvez rajouter à la liste est Shigeru Mizuki, qui fête ses 91 ans aujourd'hui.

Son âge avancé en fait un témoin privilégié de la grande époque et un doyen parmi tous les mangaka, mais son importance relève d'abord de l'oeuvre qu'il laisse, peut être pas par sa profusion mais par son originalité et son influence. J'ai tendance à dire que Shigeru Mizuki est doublement important, du fait que le mangaka a traité de deux grands domaines différents, et qu'il y a laissé sa trace dans chacun d'eux.

Le premier domaine est celui le plus connu en France, via par exemple NonNonbâ, consacré meilleur album au festival international de la bande dessinée d'Angoulême en 2007. Via les contes racontés par la vieille dame, l'auteur nous fait découvrir les différents monstres traditionnels du folklore japonais. C'est un thème récurrent chez lui, qui apparaît dans son titre le plus connu, GeGeGe no Kitaro.

Le manga, dont le premier tome est paru à la fin des années 1950, est inpiré d'un kamishibai, qui existait dès les années 1930. Le titre initial du manga était d'ailleurs différent et Hakaba no Kitarô est devenu GeGeGe no Kitaro en 1966. Le récit se déroule dans un contexte d'horreur avec moult démons et autres monstres, mais l'atmosphère y reste bon enfant.

Le manga a rendu populaire tout un pan du folklore japonais, en ressortant des archives des créatures fantastiques parfois oubliées. Le succès a conduit à des adaptations sur divers support au fil des ans: Séries télévisées, films d'animation, jeux vidéo, film live, pièces de théâtre...Les derniers projets référencés datent de 2009 mais il n'y a pas de raison que cela s'arrête.

En fait, Shigeru Mizuki est même devenu un expert en monstres du folklore japonais et je ne peux que vous recommander son dictionnaire des yokaï, publié en 2 tomes en France, qui recense tous les êtres fantastiques qu'il connaît, avec une description mais aussi souvent l'historique de la croyance, qu'il a pu reconstituer après ses recherches.

Avant d'aborder le deuxième domaine, où le mangaka a laissé sa marque, il faut d'abord revenir sur son parcours personnel. En 1942, Shigeru Mizuki a rejoint l'armée impériale japonaise et envoyé en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où il a beaucoup souffert des conditions de vie. Après avoir survécu à une mission suicide, il subit les pires traitements à son retour, pour avoir perdu son fusil.

Touché pendant l'un des bombardements alliés, il perd son bras gauche, et il contracte aussi la malaria. Il doit son salut grâce à des autochtones à Rabaul, avec qui il tisse des liens très forts. Depuis, il vit une relation particulière avec la ville et ce pays.

Cette expérience pour le moins traumatisante transparaît quand il dessine ses mangas, soit en tant que fervent antimilitariste à peine voilé, ou bien de manière plus explicite, via le portrait qu'il fait d'Hitler en 1971. Au même titre que ses illustres confrères qui adopte soit une vision de la guerre occidentale (Tezuka / Ishinomori) ou personnelle (Nakazawa),  Shigeru Mizuki a contribué à alimenter la fibre pacifique d'après guerre.

Le sujet est devenu plus sensible, au-delà du monde du manga, avec les élans néo-nationalistes et révisionnistes au Japon. Son influence a été particulièrement remarquée en publiant un manga relatant les événements de l'ère Showa au début des années 1990, en rappelant les atrocités commises par l'armée japonaise, sans omettre les épisodes souvent occultés, tel que le massacre de Nankin. Shigeru Mizuki imprègne ses oeuvres de sa propre expérience, et  vu son vécu de la guerre et maintenant son statut, il fait taire les critiques du camp "adverse".

En préparant le dossier La Deuxième Guerre Mondiale vue par les anime, j'avais croisé de nombreux articles sur le mangaka, mais je ne les ai pas traités pour éviter de me perdre dans le sujet, déjà que je n'étais pas exhaustif en ne considérant que les travaux d'animation.  En revanche, par mes lectures, j'ai pu découvrir à quel point le rôle de Shigeru Mizuki sur les mangas est souvent rappelé et mis en avant, en ce qui concerne les mouvements pacifistes.

En 1996, sa ville natale, Sakaiminato, lui a rendu hommage en construisant une route Shigeru Mizuki, qui est bordée par des statues en bronze des différentes créatures de l'auteur. La ville abrite aussi un musée, le centre culturel international Shigeru Mizuki, inauguré il y a tout juste 10 ans, le 8 mars 2003, pour les 81 ans de l'auteur.

Dix ans après, ce dernier est toujours là, bon pied bon oeil. Sur son compte officiel Twitter, Mizuki Production, le maître a été photographié il y a quelques jours, pendant l'enregistrement en vidéo de son message de félicitations pour l'anniversaire du musée.

De manière plus informelle, le compte partage aussi quelques moments sympathiques, tel que cette pause déjeuner peu reluisante mais amusante, où l'auteur goûte aux hamburgers, au mois de février dernier. 

Pour conclure, plusieurs artistes ont posté des dessins hommages sur Twitter, aujourd'hui. De la même manière que je l'avais fait pour 009 Re:Cyborg, Osamu Tezuka ou Kikase Rarenai Radio, voici une sélection de leurs illustrations. 

Masaya Takamura, auteur du manga comique Zero no Chukaima: Yôchien nano!

Source : http://twitter.com/systemheaven

Umetaro Saitano, a dessiné plusieurs titres ecchi et hentai, mais son dernier manga est Gosling, un shônen de sport.

Source: http://twitter.com/saitaniume

Ichigo, freelance

Source : http://twitter.com/1_gou

Hitoshi Nanba est le réalisateur des séries Gosick et Heroman, entre autres.

Source : http://twitter.com/namimi_sanjyo

Hiro Futami est l'auteur du manga Seed.

Source : http://twitter.com/hutamihiro

Yukimasa Shijoh

Source: http://twitter.com/shijoh

Junichi Hayama character designer de JoJo's Bizarre Adventure: Phantom Blood ou encore Votom.

Source : http://twitter.com/hayama11

Mamoru Yokota, chara-designer sur Magical Canan, par exemple mais aussi producteur du film Air.

Source : http://twitter.com/yokotamamoru

Bibliographie
War and Japan: The Non-Fiction Manga of Mizuki Shigeru