Il faut avoir à l'esprit qu'il s'agit d'une coproduction franco-japonaise et nous avons donc eu droit à la présence des membres de l'équipe française dans la salle, dont le producteur Denis Friedman, qui est venu sur scène, tandis que le directeur artistique Cédric Babouche, par exemple, est resté dans les travées. A sa décharge, il avait déjà été de service à l'avant-première de mercredi après-midi et il y avait déjà du beau monde venu du Japon face au public: Non seulement Rintarô mais aussi Jungo Maruta, le producteur japonais et fondateur de Madhouse.
Yona est un film en full 3D et les images glanées ont été loin de me convaincre pour faire le déplacement à une avant-première, surtout quand il s'agit d'un film vraiment pour les moins de 10 ans. Bien entendu, la présence exceptionnelle de Rintarô a changé la donne mais je me préparais à trouver le temps long pendant la projection. L'histoire met d'ailleurs du temps à démarrer et les premières images ne vous subjuguent guère, surtout si vous aimez les mouvements fluides à la perfection. J'y reviendrai un peu plus tard. Le transfert du monde réel vers le monde magique est un peu chaotique, en faisant passer les personnages par un univers intermédiaire.
Après, le récit prend une tournure plus linéaire et dévoile quelques subtilités. Il m'arrive de donner un jugement définitif sur la mièvrerie d'un scénario, en indiquant que Totoro comporte plus de suspense mais là, Yona présente pas mal d'originalité. Esthétiquement, plusieurs scènes de fin sont vraiment sublimes et justifie de voir l'anime sur grand écran. Bref, j'ai été plutôt agréablement surpris.
Pour la suite de la rencontre avec Rintarô – principalement car les autres invités sont intervenus très sporadiquement – je fusionne en fait des informations qui proviennent du documentaire et de la conférence. Les deux étaient complémentaires, avec des points abordés pendant le reportage, puis développés par des questions.
Notez aussi que Rintarô avait tendance à répondre à côté de certaines questions. Peux-être quelques soucis de compréhension, un peu de fatigue et une envie d'aborder des sujets plus que d'autre. Il était aussi assez blagueur du genre "je ne peux pas vous répondre, c'est un secret professionnel", avant d'entamer une explication.
Les japonais ont d'abord abordé la genèse du film. Yona est un projet porté par Rintarô depuis 7 ans, sans avoir la volonté initiale de produire un film en 3D et ses premiers travaux le destinait à une conception traditionnelle. Aussi bien lui que le producteur Jungo Maruto ne sont pas fans de la 3D. En revanche, ils ont expérimenté l'usage des images de synthèse sur plusieurs scènes de Metropolis, le grand film précédent de Rintarô. Après 45 ans dans le milieu de l'animation, le réalisateur a vu là de nouveaux horizons à explorer, avec l'usage de l'ordinateur, différent du résultat obtenu avec un stylo, une gomme et un pinceau.
Concrètement la décision de passer à la 3D, n'a pas chamboulé les travaux préparatifs. Cela s'explique aussi par une approche particulière, qui se veut original et qui me rappelle tout à fait l'esprit d'Isao Takahata quand il a sorti Mes voisins les Yamada.
Plusieurs allusions ont été faites aux productions de Pixar, dont la qualité d'animation est indéniable, avec des budgets conséquents qui permettent d'avoir ce qu'il y a de mieux. Les équipes de Madhouse ont évité de se placer sur le même registre et ont préféré privilégier leur savoir faire 2D pour l'apporter à la 3D. Ce qui importe pour Rintarô n'était pas la justesse de l'animation mais de produire des images chaleureuses.
Son soucis permanent a été d'avoir un anime le plus kawaii – mignon - au monde, avec des personnages super kawaii. En 2D, des animateurs sont spécialisés pour transmettre des émotions sur les visages des personnages en jouant sur les traits de manière experte. En 3D, un tel rendu est beaucoup plus difficile et la tendance est d'enchaîner les scènes rapidement, afin de privilégier l'action au détriment de tableau qui révèlent les limites de l'exercice. Rintarô a choisi l'option difficile en limitant son film à 800 plans différents.
Un autre parti pris est l'utilisation de l'animation limitée. Le cinéma fait du 24 images par seconde et dans les films 3D classiques, l'ordinateur calcule les positions intermédiaires pour fluidifier les mouvements en suivant ce rythme. En animation traditionnelle, pour des questions d'économie, les images sont répétées plusieurs fois donc le mouvement est moins fluide. Moins fluide ne veut pas dire moins beau. Au contraire, chaque pose intermédiaire est esthétiquement travaillée donc le rendu peut être meilleur qu'un mouvement calculé qui traite chaque instant, de manière uniforme.
C'est subtil mais parfaitement revendiqué par l'équipe de Yona, qui reconnaît que des mouvements sont volontairement saccadés. Cela explique aussi pourquoi l'équipe d'animation ne pouvait pas être composée que des spécialistes de jeux vidéo et des effets spéciaux, mais bien de véritables animateurs formés à l'ancienne école et capables de faire de l'animation limitée.
Rintarô a également tenu à conserver ses mise en scène 2D, où la caméra reste fixe alors que l'informatique lui permet toutes les libertés possibles à ce sujet. En fait, par rapport à son storyboard traditionnel, il n'a eu qu'à revoir une scène, la seule où il exploite les angles de vue dynamique de la caméra. Son but a été d'enlever de la 3D, ce qui faisait images de synthèse.
Un autre originalité concerne le côté fantaisiste des décors. L'équipe du film note chez Pixar une touche d'extravagance dans leurs personnages mais un rendu très réel dans les décors. La 2D associe fortement décors et personnages et les animateurs ont repris ce principe dans Yona, où les arrières plans sont tous avec des lignes courbes. Les techniciens ont du passer de long mois pour trouver comment transcoder les dessins préparatoires en coordonnées dans les machines. Ce n'est pas du tout le travail fastidieux mais bateau d'une intégration de décors de jeux vidéo, faits de lignes droites.
Le passage de 2D à la 3D a apporté le plus gros bouleversement dans le travail du réalisateur, là où vous vous y attendez pas : Dans le délai pour obtenir un premier rendu, alors que l'ordinateur a pour vocation à aller plus vite, d'habitude. En 2D, Rintarô et son producteur arrivaient à obtenir rapidement une esquisse précise des travaux rendus par leurs collaborateurs. En 3D, leur patience a été mise à rude épreuve car le rendu est beaucoup plus long à obtenir, l'esquisse nécessitant déjà des traitements importants et complexes. Pendant le reportage, nous avons vu que la définition de l'héroïne, Coco, pouvait atteindre les 200 calques superposés, entre les couleurs, les textures, les lumières et les masques de travail.
L'autre grand thème abordé a été la coopération entre les différentes équipes. Pour porter un tel film en 3D, Madhouse s'est tourné vers les français derrière Kaena, la prophétie, mais aussi vers une équipe en Thaïlande, spécialiste en images de synthèse mais sans aucune expérience d'animation de longs métrage et très jeune, avec une moyenne d'âge de 25 ans. Que se soit avec la Thaïlande ou la France, le staff japonais a rencontré quelques difficultés pour gommer les différences.
Avec les jeunes thaïlandais, Rintarô a connu quelques conflits mais son gros boulot a été de donner des cours d'animation pendant 1 an et demi. Le profil de spécialiste des images de synthèse et des effets spéciaux est vraiment différent du métier d'animateur.
Avec les français, le choc culturel a du être plus important mais le sujet n'a pas été complètement détaillé pendant la conférence. Dans le reportage, quelques propos amusants transcrivent les difficultés d'approche. Tous reconnaissent que la langue n'a pas été le frein le plus important mais la manière de travailler si, et aussi le comportement lié à la culture.
Dans les entreprise multinationale, c'est un point non négligeable et il existe quelques formations à suivre pour vous mettre au diapason avec vos collègues étrangers. Un chinois n'aura pas la même réaction qu'un indien pour un même message, par exemple.
Pour revenir au reportage, le directeur artistique français a rappelé qu'il a été parfois dur de satisfaire les desiderata de Rintarô et de son équipe japonaise. Il a remarqué le comportement très différent entre les deux cultures, en avouant le côté râleur du français face à un homologue japonais qui n'a pas l'habitude d'avoir à négocier, quand il décide quelque chose.
A l'inverse, une petite pique est venue du spécialiste 3D côté japonais qui critique le travail rendu par les français en indiquant que ne sont que des animateurs 3D "normaux".
Bien entendu, les deux camps louent le réussite du projet et malgré les écueils rencontrés, le producteur français est prêt à retenter l'aventure si une nouvelle occasion se présentait.
Enfin, last but not least, plusieurs questions ont concerné un autre aspect revendiqué par Rintarô, l'équilibre du mal et du bien. Il attribut peut-être cela à sa culture shintoïste ou bouddhiste, où le thème est récurrent. Il n'est pas le seul auteur à tenir à cet équilibre et je pense qu'une partie du succès des anime japonais est lié à ces personnages qui ne sont pas manichéens.
Le paradoxe le plus marquant est effectivement la participation de Katsuya Terada, au poste de character designer. L'illustrateur est connu pour ses monstres et ses compositions dans des univers sombres, tels que Blood the Last Vampire. Étrange concours que de le voir au crédits d'un film pour enfants mais ainsi, Rintarô voulait être sûr d'avoir un côté obscur chez ses personnages.
La séance a été arrêtée à 22h mais Rintarô s'est attardé encore quelques minutes dans le couloir, sollicité par ses fans pour quelques dédicaces.
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