Animint
Anime & manga
Interview effectuée en 1995 dans le magazine Yom[1], centrée sur la philosophie de Miyazaki, et sa manière de ressentir les choses. Elle est précédée de questions plus courtes à propos de thèmes divers.
Porco Rosso et la guerre civile en Yougoslavie
Yom : Après
Nausicaä,
avez-vous fait des dessins
animés conformes à vos intérêts à cette époque? Les choses
que vous vouliez faire ou des choses que vouliez voir...
Miyazaki : Je pense que je les ai tous choisi
parce que j'ai pensé que c'était intéressant.
Même quand j'étais obligé de travailler
sur un projet, j'ai essayé de le tirer dans
la direction où je voulais aller.
Si je ne veux vraiment pas le faire, je ne le fais pas.
Mais pour
Porco Rosso,
j'ai fait des choses
à l'encontre de mon intention.
Yom : Que voulez-vous dire?
Miyazaki : J'avais l'intention d'effectuer des choses complètement
différentes de manière plus légère, mais je n'ai pas pu
montrer mes véritables sentiments. Rien ne sortait.
J'étais sensé le faire comme un film commercial, mais
avec une véritable confidence, seulement, j'ai perdu
le contrôle de moi-même. J'étais embarassé.
Yom : Quelles sortes de sentiments?
Miyazaki : Si vous ne pouviez pas les sentir dans le film,
ce serait mieux. Je n'aurai pas du commencer l'histoire
dans la mer Adriatique. Beaucoup de personnes pensent
que cela se passe en Italie mais Porco vit sur la côte croate.
Elle est devenue le champ de bataille de la guerre
civile. Je venais juste faire une histoire pour vous faire
sourire mais cela est devenu compliqué.
J'ai alors du lire l'histoire contemporaine de la Yougoslavie
mais ce n'était pas un livre d'histoire consistant
et cela a été très difficile à comprendre. Sapristi,
je n'ai pas fait attention. J'ai toujours essayé de faire
un film pas compliqué mais je ne sais pas pourquoi, il est devenu
compliqué. C'était la même chose avec
Laputa.
Je pensais pouvoir le rendre moins ardu
mais mes diverses pensées s'insinuent inévitablement
et rendent les choses compliquées. Quand je finis une histoire,
je ne sais pas comment, je trouve que je l'ai rendu complexe.
J'ai certainement fait Porco comme je le voulais.
Je ne pourrai pas le faire d'une autre façon. Mais je me suis
senti humilié, en quelque sorte, d'avoir du changer les plans
en cours de route, en ne procédant pas comme c'était planifié
au départ. Vous savez, j'allais faire un film de quarante cinq minutes
et c'est devenu deux fois plus long -rires-.
Le dessin animé est pour les enfants
Miyazaki : Comme j'ai fait Porco, j'ai senti que je ne pouvais pas partir avant de faire un film correct. J'ai pensé que j'avais à produire une oeuvre qui soit vraiment pour les enfants.
Yom : Quand vous avez commencé Laputa, vous avez dit
qu'un dessin animé doit être destiné aux enfants.
Miyazaki : Peut être est-ce du à ce qui arrive dans la société mais
de plus en plus de personnes ne considèrent pas les enfants
comme leurs objectifs. Beaucoup de nos effectifs ont dépassé les trente
ans sans être mariés ou être parents.
Quand nous étions à cet âge, nous avions déjà quelques enfants
et notre motivation était que nous voulions qu'ils puissent
dire "Papa l'a fait".
Je pense encore que le dessin animé doit être fait
pour les enfants. Mais notre situation change et
moi de même. Tandis que je disais "nous devrions le faire
pour les enfants", je me suis retrouvé avec un film qui
n'est pas pour les enfants. Quand je parviens à la conclusion
que "je fais ce qu'il me semble personellement intéressant",
cela devient quelque chose qui n'est plus pour les enfants.
Je regrette que les films pour adultes ne fassent pas mieux.
Je regrette aussi que les ventes de billets et la qualité
cinématographique n'aillent pas de pair,
et qu'on y introduise les dessins animés[2].
Ce serait mieux si les dessins animés existaient dans un
coin du monde du cinéma et que les gens disent "Oh, il
y aussi des dessins
animé". Si c'était le cas, je n'aurai
pas besoin de faire des interviews ou des conférences - rires -.
Les directeurs et les animateurs, tous pourraient travailler
pauvrement, de façon pure, en restant anonymes, juste parce que nous voulons
faire le travail qui puisse nous satisfaire. Il était courant de
se focaliser sur ce que nous faisions et nous pouvions
travailler, si nous faisions des
progrès ou si nous pouvions encourager des gens,
selon nos valeurs personnelles, tel que tout ce
que nous apprenions dans ce travail.
J'ai connu cette ère. En regardant cette expérience,
je sens, bien que le dessin animé soit très en vogue,
ou bien à cause de cela, que les choses sont plus difficiles
maintenant. Je planifie en ce moment, un dessin animé pour les tout petits
mais cela est très difficile.
Yom : Pour une sortie au cinéma?
Miyazaki : Soit au cinéma, soit en vidéo. Pas pour la télévision.
À moins que nous n'en fassions pas un événement
que devront payer les gens pour le voir, ceux-ci ne le regarderont pas vraiment.
Laputa et la passion saine
Yom : Après Nausicaä, vous avez fait
Laputa.
Miyazaki : Les choses auraient été plus faciles si un film comme Laputa
avait bien marché.
Yom : Les chiffres n'ont pas été pas bons?
Miyazaki : Pour vous dire la vérité, c'était environs le quart des entrées
de Nausicaä. Tous les gens qui ont aimé
Laputa ont déclaré
qu'ils aimeraient mieux quelques chose de sérieux.
Mais si des personnes viennent voir un film
comme Laputa, nous pouvons penser
à différentes manières de concevoir un long métrage.
C'est vrai. Un tel film d'aventure demande
une énergie saine de création. Je pense
que je ne pourrai plus le faire moi-même,
et je veux que les jeunes gens le fassent mais
il n'y a pas une atmosphère pour cela.
Ils préfèrent les détails de la vie quotidienne.
Je veux un talent énergique qui veut
fabriquer des récits d'aventure pour rejoindre
nos effectifs. Je pense que c'est ce qui
manque le plus à Ghibli.
À propos de M. Isao Takahata et Pompoko
Yom : Nausicaä et Laputa ont été
produit avec comme producteur,
Isao Takahata et comme
directeur Hayao Miyazaki, mais en 1986, M. Takahata
a dirigé
Le tombeau des lucioles
et vous
Totoro. Ils ont complètement séparé
les productions...
Miyazaki : Nos façons de penser un film sont complètement différentes.
Si nous discutons sur un plan de production,
nous n'arrivons jamais à un accord. C'est la même chose
avec
Pompoko. Tout ce que j'ai dit est
"Allons y avec des Tanuki"[3].
Bien que cela
soit crédité "Producteur : Hayao Miyazaki",
le reste a été accompli par le producteur Suzuki[4]
qui a parlé avec M. Takahata. Il y a passé tout un semestre
et fait en sorte que Takahata dise "Ok, je le ferai". Une fois
que nous nous sommes lancés dans la production réelle, j'ai été
la "force de poussée". Je ne touche pas à la
véritable production du film, je pousse juste les effectifs
à travailler. Je suis comme un batteur sur une galère.
Dooong, Dooong, "Dessinez!" -rires-.
Yom : Mais il est étonnant qu'un seul mot puisse tout déterminer,
focaliser les énergies et construire un film. Quand vous
faisiez Nausicaä ou Laputa, vos rôles étaient-ils
clairement définis?
Miyazaki : En général, un producteur choisit un directeur
et lui donne un projet, mais les rôles ont été inversés dans Nausicaä.
Je veux dire que d'abord, les éditeurs d'Animage
de la Tokuma Shoten et la bande sont venus me
proposer de faire un film de Nausicaä. "Bon, faisons le".
Ensuite, si cela avait été un cas habituel,
quelqu'un de la Tokuma Shoten serait devenu un
producteur mais ils n'avaient même pas un studio d'animation.
Et je ne pouvais pas non plus tout faire.
Ainsi, je leur ai demandé "Proposez à M. Takahata d'être le producteur".
J'ai entendu dire que M. Takahata a dit oui après avoir
noircit un bloc note en entier, pour trier ses idées mais je sais
qu'il ne voulait pas le faire. -rires-
En vérité, un directeur ne peut pas produire
le film de quelqu'un d'autre. Vous ne pouvez pas
éviter les mauvaises paroles si vous commencez
à critiquer les films des autres. Si deux directeurs
ont une querelle face à face, il y aura mort d'homme. -rires-
Yom : M. Takahata et vous, avez donc conçu
une relation professionnelle
dans laquelle vous pouvez vous déléguer les affaires réciproquement?
Miyazaki : Délégation ou pas, je le prends juste
comme "Tu m'as donné ce projet, cela veut donc
dire que je peux le conduire comme je veux".
Si l'un des deux se mèle du travail de l'autre,
nous ne pouvons jamais parvenir à un arrangement.
Nous avons cette sorte de relation. Je n'ai donc
pas dit un mot, même quand nous faisions Yanakawa
Horiwari Monogatari. Mais quand il a dit
que le film allait faire quatre heures, j'ai dit
"Pardonne-moi, je ne peux pas le permettre".
Yom : Il
a finalement duré deux heures et quarante cinq minutes. Mais je n'ai pas ressenti
qu'il était trop long.
Miyazaki : Je pense que deux heures auraient été mieux
si nous voulions que plus de personnes aillent le voir
mais nous n'y pouvions rien. Du moment que nous avions choisi
Isao Takahata en tant que directeur, cela ne pouvait finir
que de cette manière.
Des films sont faits ainsi. Nous ne pouvons pas
le faire avec un film pour un large public
mais nous pouvons l'effectuer avec ce type de film.
Grâce à cela, nous avons évacué la frustation que nous avions accumulée.
C'est merveilleux d'entendre dire
"Ce n'est pas un problème si les billets se vendent bien ou pas ".
En réalité, nous amortissons l'investissement patiemment, petit à petit.
Kiki's Delivery Service
Miyazaki : À l'origine, je n'étais pas supposé réalisé Kiki. Ce que j'ai fait, a juste été d'amorcer le projet. Quand le sujet nous a été soumis, j'ai déclaré "C'est un bon projet pour les jeunes membres de notre personnel" et j'ai aligné une équipe jeune et j'ai commencé le projet. Cependant, je n'ai pas aimé le scénario présenté. J'ai donc dit que si personne l'écrivait, je l'écrirai et je l'ai écrit. Ensuite, le jeune directeur a été intimidé et n'a pas voulu diriger. Finalement, je me suis mis à diriger. Je me suis pris à mon propre jeu.
Les choses que je ne peux pas effectuer même si je désire les faire
Yom : Vous avez été le producteur
d'Omohide Poroporo
mais le film était l'univers de M. Takahata.
Miyazaki : Je me considère
comme un représentant des films populaires
et je pense que je continuerai à faire des films
populaires mais d'un autre côté,
quelque part en moi, j'ai commencé à sentir
que je ne voulais pas faire un film populaire.
Et M. Takahata, davantage. Si nous le laissions faire,
il effectuerait une animation qui ne gagnera
pas un centime -rires-. Comme le Yukara des Ainu[5].
Il dit toujours qu'il veut le faire mais c'est absolument
impossible ici -rires-. J'insiste pour dire que
ce serait creuser une tombe pour le studio
et qu'il ne peut pas faire une telle chose.
C'est ainsi. Ce serait mieux si nous allions six pieds
sous terre avec les quelques projets que nous désirions
mais nous ne pouvons pas. Je pense
qu'il est impossible de faire tout ce que vous voulez.
Vous devez faire ce genre de film dans un autre lieu que celui
d'un film qu'un ou deux millions de personnes
paient pour voir et dont ils sont satisfaits.
Quand je regarde un film comme Le chasseur à l'approche
de Talkovsky, je réagis : "Il fait comme il lui plait!".
Je pense que c'est quelqu'un de talent. La chose qui m'impressionne
le plus pour Gaudi, est qu'il a réussi à avoir des sponsors,
c'est sa force politique plutôt que son oeuvre. Combien de personnes
ont été déçues par ses travaux. Je pense qu'un tel aspect fait partie
aussi du talent. Je considère que l'animation
est quelque chose un peu plus populaire
et nous devons connaître nos limites, ce que nous pouvons faire.
Interview principale
Yom : Nausicaä s'est terminée après treize ans.
Miyazaki : Il y a cinquante neuf épisodes, ainsi, si nous résumons
rapidement, cela fait cinq ans. Mais entre le temps écoulé
après et avant, je n'ai probablement réellement passé que
la moitié de ces douze ou treize ans sur Nausicaä.
Pour vous dire la vérité, c'était l'oeuvre dont je me
demandais toujours, si je pourrais la finir depuis le temps
que je l'avais commencée. Je pouvais dire que
j'étais capable d'écrire sans penser à la suite, parce que j'avais
décidé que je pouvais l'arrêter n'importe quand.
Je travaillais en pensant "Cela prend cette tournure",
pas "Je veux que cela prenne cette tournure".
Yom : C'est donc ainsi?
Comme c'est un univers avec une grosse
intrigue, que nous pouvons qualifier de récit épique, nous
avons pensé que vous aviez détaillé le plan de l'histoire
du début jusqu'à la fin, et que vous
écriviez patiemment en prenant votre temps.
Miyazaki : Non, non, je n'ai pas une telle capacité de planification.
J'ai écrit quelque chose parce que j'étais confronté
à une date limite et je n'ai réalisé sa signification que beaucoup plus tard.
J'ai eu ce genre d'expériences plusieurs fois.
Yom : Le film a été réalisé en 1984, trois ans après que
vous avez débuté le manga, et cette année, dix ans
plus tard, il s'est achevé. Pendant ce temps, il y a eu
beaucoup d'articles écrits dessus dont quelques critiques.
Miyazaki : Il semble que ces
critiques proviennent
des personnes qui ont lu le
manga avec l'impression qu'ils ont eue du film. Ils ont
accepté Nausicaä comme une combattante pour l'environnement
et ils ne sont pas allés plus loin que cette notion préconçue.
Nous pourrions dire que le manga
n'a pas réussi à avoir un pouvoir suffisant pour modifier cette vision.
"L'histoire ne finira pas."
"L'oeuvre que je n'étais pas sûr de pouvoir finir."
Yom : L'histoire elle-même est très différente entre le manga
et le film. Dans le manga également, nous pouvons voir
un aspect plus appronfondi de la personnalité de Nausicaä.
Miyazaki : Evidemment. Si le manga et le film étaient pareils,
il n'y aurait aucune raison pour ce que je continue à écrire la manga.
Je n'étais pas sûr si je pouvais ou de comment je pouvais le réécrire,
mais il y avait des parties dans le film dont je
n'étais pas complètement satisfait et je me suis donc forcé
à le poursuivre. Pour dire la vérité, c'était comme si
je me libérais de mon bureau quand je devais arrêter
d'écrire pour faire le film suivant. Ce n'est pas
une chose que je peux avouer fièrement. Même après avoir
fini le film suivant, et en ayant un peu de temps devant soi,
c'était dur pour moi de retourner sur Nausicaä. à la fin,
je me suis arrêté d'écrire à quatre reprises.
Yom : Le film est devenu une figure de proue pour le mouvement
écologiste qui commençait juste à être très en vogue dans
les années quatre vingt.
Miyazaki : Je n'y ai pas du tout pensé mais je crois c'est arrivé là
par hasard. C'est ce à quoi nous pensions depuis si longtemps
et cela a débuté avec des choses telles que le livre de M. Sasuke Nakao.
Je veux dire par là que je n'ai
pas commencé Nausicaä pour écrire un récit sur l'écologie
dans l'intérêt de protéger l'environnement.
J'ai d'abord eu l'intention d'écrire
une histoire qui se déroulait dans un désert mais ce n'était
pas intéressant si je la transposais en dessins. Je l'ai donc
mise dans la forêt. Ensuite, c'est devenu ce genre d'histoire.
En ce sens aussi, je n'ai pas eu de grosse intrigue. Le processus
d'écriture était de la sorte :"Cela semble aller de cette manière donc
continuons ainsi". J'étais face à un bloc de papier,
je voulais donc quelque chose de grand, d'où des guerriers géants endormis...
Cela aussi, je l'ai juste écrit dans le récit en disant des choses
comme "Que va-t-il se produire? Je suis désemparé. J'ai continué
à travailler en me répétant des mensonges comme "Ce sera éventuellement
à l'étude. Le magazine aura disparu avant..." -rires-
Yom : Qu'avez-vous essayé d'écrire quand vous pensiez à un désert?
Miyazaki : Sincèrement, je ne m'en souviens pas. Je sais que
j'ai du penser à beaucoup de choses...La seule chose dont
je me souviens est que j'étais très irrité. C'était le fait
d'être dégoûté par la manière dont la société fonctionne
ou quelque chose du même genre.
Yom : C'était en 1981, 1982?
Miyazaki : Cétait juste avant ou après 1980. Non seulement
dégoûté par les problèmes d'environnement mais aussi par la voie où les
hommes se dirigaient. Surtout par la manière d'être du Japon.
Et j'ai été le plus dégoûté par ma propre façon d'être
à cette époque.
Yom : Ainsi, au sommet de la bulle économique, vous étiez...
Miyazaki : J'étais très embarrassé. J'étais si bouillonnant.
Suis-je calmé pour autant maintenant?
Je pense que le sujet de ma frustation s'est déplacé quelque part...
"Quand j'ai fini le film, j'étais au pied du mur."
Yom : Si vous n'aviez pas d'intrigue solide au départ, n'était-ce
pas difficile lorsque la fabrication du film de Nausicaä
a été décidée?
Miyazaki : J'étais vraiment mal.
Si cela avait été le récit de quelqu'un d'autre,
je pouvais le rejeter mais là, cela venait de moi
et je ne pouvais rien objecter. Même si ce n'était
pas écrit dans le manga, derrière chaque case,
j'ai mes désillusions, mes pensées et mes sentiments.
En utilisant la même trame que dans le manga déjà, en
la réarrangeant et en en changeant le sens, j'ai du
imposer des limites afin de pouvoir conclure l'histoire.
Un film doit commencer une histoire et la finir. Certains
pourraient dire "Non, commencer c'est suffisant" mais je suis
quelqu'un qui crée des films de divertissement donc je pense
aux limites pour pouvoir finir l'histoire.
Je n'ai pas pu faire plus avec le film. L'important
est que Nausicaä ait fait le tour de Copernic
quand elle a trouvé la signification,
le rôle et le système de la mer de pollution.
J'avais décidé que ce serait jusqu'où irait le film
mais j'avais trop de choses que je ne pouvais pas
placer dans ces limites et je n'ai pas pu les sortir.
C'était bien sûr impossible, comme j'avais décidé d'écrire dans le manga,
pour commencer,
ce que je ne pouvais pas faire avec le film.
Yom : Voilà pourquoi le manga et le film de Nausicaä
sont totalement différents. C'est à cause de cette manière
de commencer et d'achever une histoire dans un film.
Miyazaki : Même si je devais faire le film de Nausicaä
maintenant, après avoir fini le manga, je referai le même
film. Je ne crois pas que cela changerait.
Yom : La manière dont finit le film a-t-elle
influencé le manga?
Miyazaki : Comme je l'ai dit avant, le film s'est terminé
et je n'ai pas écrit le manga pour le dupliquer.
Je n'ai pas du tout pensé à ce que j'ai fait
dans le film. De toute manière, j'ai oublié ce que
j'ai fait -rires-.
Mais quand j'ai travaillé sur le film Nausicaä,
j'ai maintenu que je faisais Nausicaä
avec des souhaits, pas suivant la réalité.
Mais quand j'ai fini le film, j'ai trouvé
que je m'étais inséré dans le domaine de la religion
beaucoup plus que je le voulais. J'ai pensé que ce n'était
pas bien et j'étais vraiment amené dans une mauvaise passe.
Ainsi, après le film, je me suis dit que j'appréhenderai
le problème plus sérieusement pour continuer le manga mais
une fois commencé, il y a trop de choses que je ne comprenais pas.
Du début jusqu'à la fin, j'ai fini par écrire un tas de choses que je
n'ai pas comprises.
Yom : Ce fut plus long après que vous ayez fini le film.
Miyazaki : Oui. Il a du y avoir des lecteurs qui allaient et venaient,
et j'ai écrit dans le magazine en pensant qu'il se pourrait qu'ils
ne comprennent pas ce qui se passe. Cependant, j'ai fini par trop
penser aux choses que je ne comprenais pas.
Yom : Que voulez vous dire?
Miyazaki : Si nous prenons l'existence de Dieu comme
principe, nous pouvons ainsi expliquer le monde.
Mais je ne peux pas le faire.
Néanmoins, j'ai mis les pieds dans un domaine où
je ne voulais pas entrer, tels que les hommes ou la vie.
Je peux réussir à comprendre le monde en tant
que conflits et contradictions chez les hommes mais
je ne me suis pas retrouvé satisfait avec ce niveau d'explication.
Ensuite, je n'avais rien que je pouvais dire sur le ton de la confidence.
Ma tête me tournait rien qu'en pensant à ce que vous
feriez si vous étiez appelé "maman"
par un guerrier géant avec une telle puissance de destruction.
La perplexité de Nausicaä est juste ma propre perplexité.
Yom : à l'approche de la fin du manga, le guerrier géant
a un rôle complètement différent de celui du film.
Miyazaki : Vous pouvez trouver une similitude
avec beaucoup de cultures
populaires où un géant
vous donne une force. Comme le gardien d'éléphants dans
Tarzan ou Tetsujin 28[6]. La raison
pour laquelle ils apparaissent tant de fois sous
diverses formes, peut être expliquée par notre souhait
de retourner à une grande existence ou notre
tendance à vouloir grandir, ou quelque chose du même type.
Habituellement, dans la culture populaire,
cela a été rendu ambigüe en se contentant d'affirmer
qu'un pouvoir immense est parfait, s'il est bon.
En réalité, la plupart du pouvoir a été fait
par la technologie. Je pense qu'une technologie
en elle-même est neutre et innocente.
C'est similaire aux automobiles. Elle sont loyales
et toutes dévouées à leurs conducteurs.
Nous nous sentons rassurés, en pensant que
les machines n'ont pas de coeur mais
en vérité, les hommes donnent des coeurs aux machines.
Un coeur loyal, une dévotion innocente
et le sacrifice de soi sont l'essence de vie des
machines. C'est comme un chien
qui obéit aux ordres de son maître, sans
considérer comment le maître
peut être diabolique.
Je crois que penser que les humains donnent
des coeurs aux machines est la base des
trois règles d'Asimov pour les robots[7].
Le guerrier géant de Nausicaä n'est donc
pas une idée originale. Pour la conception
aussi, vous pouvez trouver sa racine dans
beaucoup de concepts qui existaient déjà.
Mais à partir du moment où
j'ai donné une forme tangible à l'innocence,
c'est devenu quelque chose que je ne pouvais
pas contrôler. Je pense que je lui ai donné
une forme parce que j'ai un profond désir pour les innocents.
Yom : L'histoire a changé après que le guerrier géant
soit devenu intelligent.
Miyazaki : Quand j'écris ce genre d'histoire,
je ne vois pas d'autre explication que de penser qu'une idée
me soit venue à l'esprit
ou que des pièces sans signification
aient signifié quelque chose
pour moi. Même si les structures de l'oeuvre
s'effrondraient, je ne devrais pas oublier ces pièces.
Non, je ne peux pas bien l'expliquer.
Je crois qu'il doit y avoir des gens qui peuvent
l'expliquer avec des mots plus appropriés, profonds
et affinés, avant même que je ne puisse commencer à y penser.
J'ai malheureusement réalisé que je n'avais
pas une telle facilité.
"J'ai perdu mes mots."
Yom : C'est ce que vous entendez par un domaine religieux?
Miyazaki :
Les nombreuses choses dans l'esprit humain, dont nous disons
qu'elles ont un sens, vous pouvez leur attribuer de diverses
idées ou croyances et je pense qu'elles pourraient
réellement exister dans la nature...
Nous devenons confus parce que nous avons différents désirs matériels.
Mais je crains que si nous voulons nous éloigner de telles
désirs et rejoindre un lieu pur,
nous devrions être capables d'atteindre un lieu comme une pierre
ordinaire ou des gouttes d'eau.
Mais à partir du moment où nous
mettons ces pensées sous forme de mots, tout
devient une religion méprisable.
Je n'ai pas écrit ainsi et je n'ai pas atteint un tel niveau.
Finalement, j'ai commencé à faire
plus attention au guerrier géant qu'aux hommes.
Yom : Ou nous faisons plus attention aux Ohmu.
Quand nous lisons Nausicaä, tant de choses se produit...
Miyazaki : En tombant dans une telle situation, les choses
ne sont pas sorties. Tandis que je pensais quelques fois
que c'était comme Docteur Strangelove, je n'ai
même pas su si c'était vraiment étrange.
Les choses que nous pensons, sont caractéristiques
des humains, comme les sentiments,
même si elles peuvent être partagées
tel un simple poison moral, de par
le monde. Peut être que ces choses
que nous partageons, sont seulement suscitées
chez les hommes. Ce sera impossible que j'y réfléchisse
à moins que je le fasse avec un meilleur cerveau.
Je pense jusqu'à présent, que je ne dois pas le mettre sous
forme de mot. Je suis tombé dans ce genre de situation.
Même si je considèrais que ce serait dangereux, je n'y pourrais
rien parce que j'ai déjà introduit le guerrier géant il y a dix ans.
Je n'ai pas le droit de dire "Je l'ai mis
mais je l'ai oublié" -rires -.
Ainsi, plutôt que créer l'histoire, j'ai juste suivi derrière.
Yom : Le récit évolue en lui-même...
Miyazaki : Plutôt qu'évoluer, il a juste été là.
Et il n'a pas évolué
pas dans la direction que je voulais. Néansmoins, j'ai du
forcer l'histoire à aller dans la direction que je désirais,
bien que je pensais personnellement, qu'elle était franchement erronée.
Mais je n'aime pas faire cela.
à la fin, est-ce que Nausicaä, la fille qui avait
supporté tant de fardeau sur ses épaules, allait revenir
à la vie normale? Une telle personne pouvait-elle
vivre sans aller mal? La seule chose que je savais, c'est que même
si elle ne pouvait pas revenir, elle continuerait
à être là et à être témoin.
Yom : Il y a une sorte de solution dans le film mais dans le manga,
depuis le début, Nausicaä pose beaucoup de questions. Et en ne
les résolvant pas, cela fini avec de plus en plus de questions posées.
Miyazaki : Oui. Je n'y peux rien mais demander ce qu'est la vie
est une question à laquelle je ne pouvais
pas répondre, je le savais depuis le départ. Mon chien a seize ans et
peut mourir d'un jour à l'autre. Il voit difficilement. Il parvient seulement
à renifler un peu et une seule de ses oreilles fonctionne à peu près.
Mais il est encore vivant. Quand je vois son visage,
il ne semble pas heureux mais quand j'essaye de le sortir
pour une promenade, il parait un peu plus heureux.
Je me demande ce qu'est la vie.
C'est étrange, depuis que j'ai perdu mes deux parents,
j'y repense en voyant mon chien, mais par exemple,
je ne pense plus au chien qu'il a été.
Les ondes se déploient à la surface de l'eau
et comme elles se déploient, elle diminuent graduellement.
Ce sont les même ondes mais ce ne sont pas
les mêmes ondes fortes juste après leur apparition -
je ne comprends peut être pas cet état.
Il y a beaucoup de choses où il est dit qu'une telle
forme de vie est un support de gènes égoïstes
mais après tout, nous ne comprenons pas plus.
Depuis peut être des temps très reculés, de grands
hommes se sont penchés sur la question. Je veux dire par là, que
je viens de commencer à comprendre
qu'ils ont ressenti quelque chose, semble-t-il, avant même
que des choses comme les études ne soient institutionnalisées.
Yom : Vous apprenez qu'il y a beaucoup de choses que vous ne
pouvez pas comprendre.
Miyazaki : Oui. Je comprends que je ne peux pas expliquer
simplement et superficiellement la relation entre
la nature et les hommes, ou la nature dans l'homme.
Cependant, vivre est la manière de conserver cet "équilibre superficiel"
et je peux dire que nous ferions mieux d'agir pour conserver un
équilibre. Mais si je m'aventure plus profondément, je rencontre
trop de questions chaotiques dans lesquelles je dois
affronter l'obscurité de l'univers.
Et il semble que la clef de ce genre de questions
se situe dans les pensés des gens du passé,
qui se sont enfouis dans les montagnes,
plutôt que dans nos propres têtes.
Ces jours-ci, j'ai été effrayé quand j'ai entendu
des paroles religieuses que j'ignorais avant.
J'ai senti, "Oh, on en a aussi parlé aussi".
Derrière ces simples mots, par exemple, dans
un livre élémentaire du Bouddhisme, il y a une grande
expérience derrière ou beaucoup de choses simulaires.
Je peux le ressentir mais c'est tout. Je ne peux
pas les comprendre entièrement. Je suis désorienté.
Au moment où je copie les mots, ils commencent à changer.
Mais contrairement à des hommes comme Shinran[8],
qui les a écrit sans crainte, je n'ai pas pu.
J'ai décidé que Nausicaä ne dirait pas les mêmes
choses parce que, inévitablement, cela aurait sonné faux.
Je pense que j'ai compris les choses plus clairement
mais comme j'ai écrit Nausicaä, c'est vraiment devenu
plus difficile pour moi de faire la part des choses.
Je veux dire que c'est comme si j'avais perdu mes mots.
C'est juste comme si Nausicaä en personne restait en dehors du
monde des mots,
et j'ai pensé que je ne voulais pas la faire exprimer avec des mots.
Du moment que je mets "Je pense que ceci est cela"
sous forme de mots, cela devient une chose différente.
Yom : Peu après que Nausicaä ait
dit "Je continuerai à mentir",
le récit s'achève...
Miyazaki : C'est plus adapté à mon héroïne, c'est devenu ainsi.
Je n'ai pas le choix mais c'est son amour pour les vies autour d'elle.
De toute façon, " Nous avons raison, nous avons vaincu
l'ennemi et la paix reviendra" est un mensonge.
Au moins, je suis capable de dire de façon définitive, que c'est un mensonge.
Il y a les bonnes choses et les mauvaises choses.
Vous pouvez faire les bonnes choses. Mais la personne
qui effectue les bonnes actions n'est pas nécessairement
une bonne personne. Cela signifie qu'elle a fait des bonne choses.
à l'instant qui suit, elle peut faire de mauvaises choses.
C'est humain. à moins de penser ainsi,
nous nous trompons sur tout, y compris sur les décisions
politiques et sur nous-mêmes.
"L'effondrement de l'Union Soviétique a été plus facile que celle de Doruk."
Yom : Pendant la période ou vous écriviez
Nausicaä, beaucoup d'évènements sont arrivés
à l'exterieur du Japon. Y a-t-il eu quelque
chose qui vous influencé?
Miyazaki : Le plus choquant a été la guerre civile en Yougoslavie.
Yom : Vous voulez dire?
Miyazaki : J'ai pensé qu'ils ne recommenceraient pas.
J'ai pensé qu'ils étaient fatigués de poursuivre de tels actes
comme ils avaient fait des choses si horribles avant, mais non.
J'ai appris que les hommes n'en ont jamais assez.
Cela m'a dit à quel point j'était naïf.
Yom : Contrairement à la guerre du Golfe,
ce fut un vieux type de guerre.
Miyazaki :
Dans un sens, la guerre du Golfe a été facile
à comprendre. Le gouvernement irakien est très
semblable au gouvernement japonais de la dernière guerre.
Ils envoient juste les soldats dans quelques îles
ou désert, et leur disent "débrouillez vous"
sans leur envoyer d'eau ni de nourriture.
C'était triste de voir de tels miltaires
parce
qu'ils ressemblaient aux militaires japonais.
Mais c'est différent en Yougoslavie.
Je pense que cela a été commencé par quelques groupes.
Mais nous n'avons pas pu les arrêter.
C'est comme la montée du nazisme en Allemagne,
beaucoup de gens qui y étaient, ont dit que c'était
juste une série de groupes mais ils ont grandi
avec une force irrésistible.
Par exemple, lorsque nous regardons les actualités
à CNN, les Serbes paraissent mauvais de façon accablante.
Mais si vous allez à la racine,
c'est quelque peu différent. Il y a un conflit entre
l'Europe de l'Ouest et l'Europe orthodoxe
à l'intérieur de la chrétienté. Pas étonnant que
les Serbes se méfient de l'OTAN.
Ils préfèrent avoir les Russes.
Alors, les Serbes ont-ils raison?
Non. Les deux parties sont vraiment stupides
et commettent des actes impardonnables.
Même s'il y a une chose comme la justice, une fois
que la guerre est enclenchée, tout est corrumpu.
C'est la guerre.
Yom : Nausicaä a dit aussi "il n'y a pas de justice".
Miyazaki :
J'ai diverses lectures comme je m'intéresse à la guerre.
Les gens me pose donc des questions du style "Vous aimez la guerre".
Je leur réponds "Pensez vous que les chercheurs sur le SIDA
aiment le SIDA?" mais je suis forcé de reconnaître que ma
compréhension de l'Histoire a été très naïve.
Yom : Et à propos de l'effondrement de l'Union Soviétique?
Miyazaki :
C'est arrivé juste à l'époque où je décrivais l'effondrement
d'un pays appelé Doruk dans Nausicaä.
En l'écrivant, je me demandais s'il était possible
pour un tel empire comme Doruk de disparaître si facilement,
et j'ai donc été vraiment surpris que l'Union Soviétique
se soit effondrée encore plus facilement. Un pays s'effondre et au même
moment, les gens peuvent poursuivre leur vie quotidienne.
Une telle chose peut vraiment se produire.
Je me suis demandé pendant longtemps
ce qui s'était produit,
ce qu'il était advenu à ces gens qui vivaient
quand l'Empire romain d'Occident est tombé, mais avec l'effondrement
de l'Union Soviétique, j'ai eu une espèce de réponse.
Yom : Je dirai que c'est une bonne corrélation...
Miyazaki : Il y a eu beaucoup de choses que j'aurai du écrire
sur la fin de l'Empire Doruk. Mais, d'un autre côté,
je suis embarrassé de dire qu'il y avait une limite
à ma productivité, seize pages par mois, et il
y a eu beaucoup de choses que je n'ai pas écrites.
Pourquoi le pays est-il tombé, ou pour commencer,
quel était ce pays? Quelle sorte de système avaient-ils,
pourquoi le système n'a plus marché... Je savais que je devais
décrire ces points mais pendant que je me retranchais
derrière l'excuse, que le temps me manquait,
l'empire est tombé de lui-même dans le manga
et dans le monde réel, l'Union Soviétique aussi.
"Nausicaä a changé ma façon de penser."
Miyazaki : Pendant que j'essayais de conclure Nausicaä, j'ai effectué ce que certains appellent un tournant. J'ai totalement abandonné le marxisme. Mais je n'ai pas eu d'autre solution que de l'abandonner. J'ai décidé que c'était faux, que son matérialisme historique aussi et que je ne devais plus voir les choses ainsi. Et cela a été un peu dur. Même maintenant, je pense quelques fois que les choses seraient plus faciles si je n'avais pas changé. Ce n'est pas que j'ai changé de manière drastique ou changé par une lutte sans merci pendant que j'écrivais, mais des questions intérieures me sont devenues irrésistibles. Je pense que ce changement net dans ma manière de penser est venu de mon écriture sur Nausicaä, plus que par le changement de ma position dans la société. Par exemple, au départ, j'ai même hésité à faire de Nausicaä la fille du châtelain Ghil - en clair, une princesse. Je croyais que certains pourraient dire que Nausicaä est dans une sorte de classe d'élite, je me l'imaginais donc ainsi, mais ces points sont devenus sans importance pour moi. Où elle était née ne représentait pas un problème. Je ne voulais plus avoir de telles discussions. Aucun problème avec la classe où quelqu'un nait, une personne stupide est une personne stupide et une bonne personne reste bonne. Ce n'est pas qu'untel ait raison ou tort, il faut juste savoir si c'est un bon gars, si j'ai envie de devenir ami avec lui. C'est un mensonge de dire qu'untel est bon juste parce que c'est un travailleur. Le grand public fait beaucoup de choses idiotes. Je n'arrive pas à croire aux élections. Avec ce genre de choses, je reviens aux sources. Ce n'est pas garder les yeux ouverts comme cela a été dit plusieurs fois. Si je pense revenir en arrière, mon visage s'assombrit mais je crois que je dois l'accepter. Je crois que je dois voir les choses à ma manière. Quand j'ai vu le film de Mao Tse-tung pour la première fois, qui recevait les acclamations de la foule sur la place Tiananmen, je crois que c'était à la fin des années cinquante, j'ai trouvé que son visage était vraiment néfaste et laid. Mais comme on m'avait dit qu'il avait une grande personnalité et un tas de choses, j'ai cru qu'il était malade et pas photogénique ce jour-là -rires-, je l'ai vraiment pensé. Mais en y repensant, j'aurai du suivre ma première impression. Cela s'est produit à beaucoup de reprises. J'ai toujours essayé de contenir mes sentiments avec mes idéaux. J'ai arrêté de le faire. J'observe aussi les politiciens contemporains juste à partir de mes impressions.
Yom : Avec votre intuition...
Miyazaki :
Le sentiment que c'est une bonne personne plutôt qu'une
intuition. Même si elle n'a pas des capacités politiques, c'est une bonne personne.
Nous ne pouvons pas en espérer grand chose de toute manière,
donc la plus gentille est la meilleure.
J'en suis au stade de tenter d'observer les choses à ce niveau.
En bref, je tourne le dos à la stupidité.
Yom : N'est-ce pas plutôt monter des escaliers en colimaçon plutôt
que de tourner le dos?
Miyazaki :
Je pense que je pourrai juste tourner autour sans arrêt.
Par exemple, il y a un mouvement national
appelé le Mouvement de la forêt de Totoro
et ils utilisent les personnages du film pour
promouvoir le mouvement. Mais je ne coopère
pas parce qu'ils ont raison. Je coopère parce que ceux
qui sont dans ce mouvement sont sympathiques.
Ils sont si proches de la terre.
Ce sont des personnes qui ont aimé les champs de Sayama[9]
bien avant qu'ils aient commencé le mouvement,
ils se sont promenés dans les environs pour
observer les plantes et les oiseaux pendant
leur temps libre et en pensant comment ils pourraient
faire
quelque chose pour cet endroit.
Parce que ce sont de tels gens, nous
sommes heureux de leur laisser utiliser nos personnages.
Si quelqu'un comme un fasciste de l'écologie
était à leur tête, je me retirerais.
Comme cela, ces jours-ci, je m'associe
avec des gens non pas parce qu'ils ont raison
ou bien tort mais parce qu'ils sont sympathiques.
Mon monde devient donc de plus en plus petit -rires-.
"Résoudre le problème de l'environnement en nettoyant les rivières dans le voisinage."
Yom : Et à propos du Japon dont vous disiez être dégoûté
avant de commencer Nausicaä?
Miyazaki :
J'ai passé le stade du "Ca leur servira de leçon"
après l'éclatement de la bulle économique et je me sens regaillardi maintenant.
Les problèmes n'ont pas été du tout résolus
mais cela a démoli le mur et des choses de l'extérieur
sont en train de pénétrer. La pénurie de riz n'était rien[10].
Ce n'est pas comme si les gens mourraient de faim.
C'était plutôt étonnant par rapport à la puissance économique, cependant.
Yom : Vous voulez dire que si nous voulons, nous pouvons importer.
Miyazaki :
Si c'était arrivé dans les années 1940, il y aurait
eu un grave problème, mais maintenant nous avons juste quelques
plaintes du genre "Le riz thai n'est pas aussi bon".
J'ai pensé que c'était une puissance économique étonnante.
Au même instant, je croyais aussi qu'il était dur de survivre
pour un pays sans puissance économique.
Je suis lassé de discuter de l'agriculture japonaise.
Si je dis ceci, je pourrai être pourtant mal compris.
Il m'est arrivé de rencontrer un fermier
qui m'a dit qu'il voulait conserver un riz bio sans pesticide
et j'ai donc décidé de lui acheter son riz, même si
le prix a monté dans cette mauvaise année de récolte.
Le problème de l'agriculture a été résolu ainsi chez moi -rires-.
Bien sûr, il n'y a pas de solutions mais je n'apprécie
pas les expressions sensationnelles du genre "L'agriculture
japonaise est perdue" autant que je n'aime pas "Les
films japonais sont morts" bien que je comprenne
leur colère.
Je sens d'un manière ou d'une autre que ce n'est pas cela.
Vous ne gagnez pas ni ne perdez si facilement.
J'ai seulement été irrité quand j'ai entendu la coopération
agricole croire être dans l'un ou l'autre cas pendant que
nous discutions des problème agricoles.
Je veux juste le résoudre
à un niveau personnel. Ce n'est pas quelque chose dont
je puisse être fier. Mais, même ainsi...C'est différent
si quelqu'un commence à mourir de faim, cependant.
Ces derniers jours, j'ai ainsi réfléchi.
Aux problèmes d'environnement aussi.
Comme les gens de la commune nettoient
la rivière dans mon voisinage, je les rejoins quand j'ai le temps.
Cela veut juste dire que nous portons seulement les sacs
poubelles, vous savez.
En bref, il y a beaucoup de choses contre lesquelles nous ne
pouvons rien faire si nous les considérons en tant que généralités.
Les choses ne vont pas bien parce qu'il y a un immense fossé
entre les généralités et les particularités.
Mais un homme peut souvent se satisfaire des particuliarités.
C'est ce que j'aime le mieux actuellement.
Si nous regardons les généralités depuis le sommet d'une montagne
ou d'un avion, nous sentons que c'est sans espoir mais si nous
redescendons, il y a une belle route de cinquante mètres, nous
sentons que c'est une belle route et si le temps est beau et ensoleillé,
nous sentons que nous pouvons avancer.
Je me demande si nous nous sentons si différents selon nos
points de vue. Je crois qu'effectuer de telles actions me
convient mieux que de parler de grandes choses sur une scène
dans un colloque ou une conférence. Mais je conduirai une
voiture et polluerai. Si tout le monde
doit arrêter, je ferai de même mais sinon, je continuerai
à conduire jusqu'au bout. Augmentez le prix du carburant
à trois cents yens par litre -rires- Euh, je jase
comme il me plait, n'est-ce pas?
Yom : Ainsi, il n'y aura pas tant de voitures.
Miyazaki :
Je me mets en colère quand j'entends quelqu'un
dire "Si nous baissons le prix du carburant,
cela stimulera l'économie japonaise".
Seulement ceux qui désirent en payer le prix, devraient conduire.
Que tous conduisent une voiture n'est pas
un progrès ou une équité chez les hommes
ou autre chose.
Maintenant, nous avons le problème de la popularisation de tout.
Comme j'appartiens au grand public, même si
je vois un film du Zeppelin et désire piloter un dirigeable,
si je suis dans ce cas, je ferai partie de ceux qui
ne peuvent pas en piloter un. Cependant, je ne crois pas que
nous ferions mieux de laisser à tout le monde l'occasion
de piloter un dirigeable.
Je suis en train de penser à mettre de la terre
et de l'herbe sur le toit de ce bâtiment[11] cette année.
Cela ne résoudra aucun problème mais c'est mieux d'agir que d'être
juste en colère. J'ai entendu dire que le coût du chauffage
et de la climatisation changerait en procédant ainsi.
Beaucoup de gens disent que ce n'est pas une
grande solution et ce n'en est pas une mais
je pense que si je peux le faire, je le ferai.
Il existe un photographe qui travaille sur un projet
pour inviter au Japon des enfants victimes des radiations à Tchernobyl
et pour leur fournir un traitement.
Après être restés au Japon pendant un mois, ils
sont devenus en meilleure santé, comme ils avaient aussi
une meilleure nutrition.
Par exemple, un enfant qui avait arrêté de grandir s'est remis
à croître. Mais il sait que l'enfant reviendra à l'état précédent,
une fois retourné chez lui, un mois plus tard. Et il est torturé
par la pensée que même s'il amène dix gosses ou plus au Japon,
ce sera inutile pour le reste des autres milliers d'enfants.
Je crois que c'est juste bien - bien que si je dis cela,
je risque de ne pas être compris - Je pense que c'est ce que les individus
peuvent faire.
"Est-ce sans importance si l'enfant meurt?" Non, cela ne l'est pas.
Peut être que ce que ces enfants ressentaient à cet instant représente
tout. Mais du moment où je mets ce genre de chose sous
forme de mots, il y aura un malentendu quelque part. C'est difficile.
Si nous essayons de juger selon les résultats, beaucoup de choses
deviennent difficiles. Si nous disons "Ce moment est important",
quelqu'un pourrait le prendre comme si nous avions seulement
fait attention à ce moment. C'est difficile.
C'est vraiment dur de le transposer sous forme de mots.
Yom :
C'est facile d'accuser les mots. Tout ce que vous dites, vous pouvez
le renier.
Miyazaki :
Il y a beaucoup de choses que je ne peux pas transposer sous forme de mots.
Je dis "Nous devons juste nettoyer la rivière"
parce que trop de gens me placent l'étiquette "ecolo" sur le dos.
Yom : Vous avez prononcé ces paroles dans
l'intention de créer une contreverse.
Miyazaki : Oui. En vérité, je ne voulais rien dire.
Je ferai mieux d'agir et de
ne pas dire un mot. C'est mieux si je crois que je fais ceci, parce que c'est
un effort commun.
"Laisser ce que je ne comprends pas."
Yom : Après avoir fait le film Nausicaä, et
tandis que vous continuiez à écrire Nausicaä, vous avez fait
des dessins animés tels que Laputa, Totoro,
Kiki et Porco Rosso. Ce sont des dessins animés
d'un type différent de Nausicaä.
Miyazaki : Je crois que j'ai été
capable de les faire parce que j'écrivais Nausicaä.
Je considère Nausicaä comme étant le plus dur.
C'est éprouvant de revenir au monde de Nausicaä
et je ne veux pas y revenir. Même si j'écrivais dans ce monde,
écrire un tel travail a compliqué mon retour vers la société.
Yom : Vous continuez à vous effacer?
Miyazaki : Oui. Mais si je suis au milieu de la production
d'un film, c'est tout un tas d'histoires. Mon attention est focalisée
sur tous les détails quotidiens. "Quel bêtise fait-il encore?"
ou "Il ferait mieux de prendre une femme" -rires-
ou ce genre de sujets.
C'est vraiment matériel. Et nous faisons un tas d'histoires
pour savoir si les gens viendront voir le film ou pas.
Après avoir fini un film, abattu, je déconnecte
et Nausicaä attend ensuite. Je déteste cela.
J'ère autour six mois ou plus et alors, je commence à écrire
parce que je n'ai pas le choix. Mais comme je l'ai dit avant,
pour avouer la vérité, j'ai fait des films parce que je voulais
m'échapper de Nausicaä.
Je n'avais pas l'intention de faire un travail léger
parce que je faisais beaucoup ici mais
si je n'avais pas écrit Nausicaä
je crois que je me serais acharné à mettre un peu
plus de consistance dans les films.
En prenant du recul, c'est ce que je pense maintenant.
Je ne pensais pas ainsi et je les ai fait
parce que je croyais que ce genre de films
était bon. Ce n'était pas comme si
j'avais planifié l'écriture de Nausicaä
et je ne pensais donc pas que je ne ferai rien ensuite.
Yom : Quels sont vos perspectives après avoir conclu Nausicaä.
Miyazaki : Conclure Nausicaä
ne signifie pas que les évènements
se sont terminés ou ont été conclus. Les choses continuent sans fin
mais nous sommes arrivés au point du "à partir d'ici
vous êtes au courant". Je veux dire que nous
sommes au même point de départ de notre monde
moderne, si difficile à comprendre.
à partir de ce point, d'innombrables choses stupides
arriveront et il y aura des efforts pour aussi leur tenir tête.
Et elles se répèteront encore et encore.
J'ai essayé de conclure au point où nous pouvions commencer à l'apercevoir.
J'ai réalisé ceci pendant que j'écrivais mais le rôle
de Nausicaä n'est pas réellement celui d'un leader
ou de conduire les gens. Et la structure du récit
est telle que les gens qui ont cru en Nausicaä continuent à
faire bouger
les choses. Ce n'est donc pas une intrigue habituelle dans la façon
où les histoires sont structurée en générale.
Cela m'a également troublé.
C'est fini mais j'ai beaucoup de choses
que je dois sortir comme celles-ci au moment où
le dernier volume sera publié. Mais j'ai décidé d'arrêter,
en laissant les choses que je n'ai pas comprises
telles qu'elles sont.
D'un autre côté, je ne peux pas terminer l'oeuvre
que j'ai commencé à quarante ans
et je ne peux pas devenir plus mature.
En réalité, au moment où j'ai fini d'écrire,
j'ai commencé à ressentir que je devenais un homme âgé.
Mais rien n'est fini. Je ne me sens donc pas du tout soulagé.
Je regrette de ne pas avoir pu laisser mon fardeau.
J'ai cru que les choses seraient plus faciles
pour moi mais ce ne fut pas le cas.
J'ai pensé que ce serait plus facile
comme je n'avais plus à écrire mais cela
signifie seulement que l'oeuvre
la plus éprouvante en second a été promue à la place
de la plus éprouvante tout court -rires -.
Yom : De toute manière, nous pouvons voir
au moins qu'il reste beaucoup de problèmes.
Miyazaki : Oui. Et Nausicaä le sait plus que quiconque.
Notes:
-
Interview réalisée dans Yom, traduit
du japonais par Ryoko Toyama et disponible en anglais dans les
archives de http://www.nausicaa.net.
Adaptation en français par T. Allais. - Les dessins animés ont pris trop d'importance pour Miyazaki par rapport au cinéma. Trop de récompenses leur sont décernées.
- Après la fin de Porco Rosso où le personnage principal est un cochon, Miyazaki s'est mis à répéter le mot Buta (Cochon) de façon maladive, puis il a soudain prononcé celui de Tanuki. D'où l'idée de base de Pompoko. C'est la version officelle. ^-^
- Toshio Suzuki est directeur de Ghibli. Il se présente dans un de ses discours et a écrit un mot pour le festival de Corbeil-Essonnes.
- Les Ainu forment une ethnie vivant au Nord du Japon (Hokkaido, Sakhaline, Kouriles). à la fin du XIXème siècle, ils vivaient encore de pêche, de chasse et de cueillette. Les Japonais les ont convertis à la vie agrospastorale. Le mot Yukara désigne les contes et les mythes du folklore.
- Manga des années soixante écrit par Mitsuteru Yokoyama, également à l'origine de Giant Robot ou Sally la petite sorcière.
- Ces trois règles sont les suivantes
a. Un robot ne doit jamais nuire à un être humain ou, par sa passivité, permettre qu'il soit fait du mal à l'homme.
b. Un robot doit obéir aux ordres que lui donnent les êtres humains, sauf lorsque ces ordres sont en contradiction avec la première loi.
c. Un robot doit protéger son existence, sauf lorsque cette protection entre en conflit avec les deux premières lois. - Moine qui a commencé à enseigner le bouddhisme au Japon.
- Le récit de Totoro est sensé avoir lieu à Sayama.
- Le Japon a manqué de riz en 1993 et a du importer du riz étranger, en ouvrant son marché. Des bruits très chauvins se sont répendus pour discréditer le riz thai par exemple, dans le style "Il y a des insectes dedans". L'ouverture du marché du riz jusqu'à là très protégé a succité de nombreux débats quant à l'avenir de l'agriculture japonaise, subventionnée comme chez nous par l'Etat.
- Miyazaki parle des locaux du Studio Ghibli, dont il a fait les plans.