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“Un entretien avec Hayao Miyazaki”

Interview effectuée en 1995 dans le magazine Yom[1], centrée sur la philosophie de Miyazaki, et sa manière de ressentir les choses. Elle est précédée de questions plus courtes à propos de thèmes divers.

Porco Rosso et la guerre civile en Yougoslavie

Yom : Après Nausicaä, avez-vous fait des dessins animés conformes à vos intérêts à cette époque? Les choses que vous vouliez faire ou des choses que vouliez voir...
Miyazaki : Je pense que je les ai tous choisi parce que j'ai pensé que c'était intéressant. Même quand j'étais obligé de travailler sur un projet, j'ai essayé de le tirer dans la direction où je voulais aller. Si je ne veux vraiment pas le faire, je ne le fais pas. Mais pour Porco Rosso, j'ai fait des choses à l'encontre de mon intention.

Yom : Que voulez-vous dire?
Miyazaki : J'avais l'intention d'effectuer des choses complètement différentes de manière plus légère, mais je n'ai pas pu montrer mes véritables sentiments. Rien ne sortait. J'étais sensé le faire comme un film commercial, mais avec une véritable confidence, seulement, j'ai perdu le contrôle de moi-même. J'étais embarassé.

Yom : Quelles sortes de sentiments?
Miyazaki : Si vous ne pouviez pas les sentir dans le film, ce serait mieux. Je n'aurai pas du commencer l'histoire dans la mer Adriatique. Beaucoup de personnes pensent que cela se passe en Italie mais Porco vit sur la côte croate. Elle est devenue le champ de bataille de la guerre civile. Je venais juste faire une histoire pour vous faire sourire mais cela est devenu compliqué. J'ai alors du lire l'histoire contemporaine de la Yougoslavie mais ce n'était pas un livre d'histoire consistant et cela a été très difficile à comprendre. Sapristi, je n'ai pas fait attention. J'ai toujours essayé de faire un film pas compliqué mais je ne sais pas pourquoi, il est devenu compliqué. C'était la même chose avec Laputa. Je pensais pouvoir le rendre moins ardu mais mes diverses pensées s'insinuent inévitablement et rendent les choses compliquées. Quand je finis une histoire, je ne sais pas comment, je trouve que je l'ai rendu complexe. J'ai certainement fait Porco comme je le voulais. Je ne pourrai pas le faire d'une autre façon. Mais je me suis senti humilié, en quelque sorte, d'avoir du changer les plans en cours de route, en ne procédant pas comme c'était planifié au départ. Vous savez, j'allais faire un film de quarante cinq minutes et c'est devenu deux fois plus long -rires-.

Le dessin animé est pour les enfants

Miyazaki : Comme j'ai fait Porco, j'ai senti que je ne pouvais pas partir avant de faire un film correct. J'ai pensé que j'avais à produire une oeuvre qui soit vraiment pour les enfants.

Yom : Quand vous avez commencé Laputa, vous avez dit qu'un dessin animé doit être destiné aux enfants.
Miyazaki : Peut être est-ce du à ce qui arrive dans la société mais de plus en plus de personnes ne considèrent pas les enfants comme leurs objectifs. Beaucoup de nos effectifs ont dépassé les trente ans sans être mariés ou être parents. Quand nous étions à cet âge, nous avions déjà quelques enfants et notre motivation était que nous voulions qu'ils puissent dire "Papa l'a fait". Je pense encore que le dessin animé doit être fait pour les enfants. Mais notre situation change et moi de même. Tandis que je disais "nous devrions le faire pour les enfants", je me suis retrouvé avec un film qui n'est pas pour les enfants. Quand je parviens à la conclusion que "je fais ce qu'il me semble personellement intéressant", cela devient quelque chose qui n'est plus pour les enfants. Je regrette que les films pour adultes ne fassent pas mieux. Je regrette aussi que les ventes de billets et la qualité cinématographique n'aillent pas de pair, et qu'on y introduise les dessins animés[2]. Ce serait mieux si les dessins animés existaient dans un coin du monde du cinéma et que les gens disent "Oh, il y aussi des dessins animé". Si c'était le cas, je n'aurai pas besoin de faire des interviews ou des conférences - rires -. Les directeurs et les animateurs, tous pourraient travailler pauvrement, de façon pure, en restant anonymes, juste parce que nous voulons faire le travail qui puisse nous satisfaire. Il était courant de se focaliser sur ce que nous faisions et nous pouvions travailler, si nous faisions des progrès ou si nous pouvions encourager des gens, selon nos valeurs personnelles, tel que tout ce que nous apprenions dans ce travail. J'ai connu cette ère. En regardant cette expérience, je sens, bien que le dessin animé soit très en vogue, ou bien à cause de cela, que les choses sont plus difficiles maintenant. Je planifie en ce moment, un dessin animé pour les tout petits mais cela est très difficile.

Yom : Pour une sortie au cinéma?
Miyazaki : Soit au cinéma, soit en vidéo. Pas pour la télévision. À moins que nous n'en fassions pas un événement que devront payer les gens pour le voir, ceux-ci ne le regarderont pas vraiment.

Laputa et la passion saine

Yom : Après Nausicaä, vous avez fait Laputa.
Miyazaki : Les choses auraient été plus faciles si un film comme Laputa avait bien marché.

Yom : Les chiffres n'ont pas été pas bons?
Miyazaki : Pour vous dire la vérité, c'était environs le quart des entrées de Nausicaä. Tous les gens qui ont aimé Laputa ont déclaré qu'ils aimeraient mieux quelques chose de sérieux. Mais si des personnes viennent voir un film comme Laputa, nous pouvons penser à différentes manières de concevoir un long métrage. C'est vrai. Un tel film d'aventure demande une énergie saine de création. Je pense que je ne pourrai plus le faire moi-même, et je veux que les jeunes gens le fassent mais il n'y a pas une atmosphère pour cela. Ils préfèrent les détails de la vie quotidienne. Je veux un talent énergique qui veut fabriquer des récits d'aventure pour rejoindre nos effectifs. Je pense que c'est ce qui manque le plus à Ghibli.

À propos de M. Isao Takahata et Pompoko

Yom : Nausicaä et Laputa ont été produit avec comme producteur, Isao Takahata et comme directeur Hayao Miyazaki, mais en 1986, M. Takahata a dirigé Le tombeau des lucioles et vous Totoro. Ils ont complètement séparé les productions...
Miyazaki : Nos façons de penser un film sont complètement différentes. Si nous discutons sur un plan de production, nous n'arrivons jamais à un accord. C'est la même chose avec Pompoko. Tout ce que j'ai dit est "Allons y avec des Tanuki"[3]. Bien que cela soit crédité "Producteur : Hayao Miyazaki", le reste a été accompli par le producteur Suzuki[4] qui a parlé avec M. Takahata. Il y a passé tout un semestre et fait en sorte que Takahata dise "Ok, je le ferai". Une fois que nous nous sommes lancés dans la production réelle, j'ai été la "force de poussée". Je ne touche pas à la véritable production du film, je pousse juste les effectifs à travailler. Je suis comme un batteur sur une galère. Dooong, Dooong, "Dessinez!" -rires-.

Yom : Mais il est étonnant qu'un seul mot puisse tout déterminer, focaliser les énergies et construire un film. Quand vous faisiez Nausicaä ou Laputa, vos rôles étaient-ils clairement définis?
Miyazaki : En général, un producteur choisit un directeur et lui donne un projet, mais les rôles ont été inversés dans Nausicaä. Je veux dire que d'abord, les éditeurs d'Animage de la Tokuma Shoten et la bande sont venus me proposer de faire un film de Nausicaä. "Bon, faisons le". Ensuite, si cela avait été un cas habituel, quelqu'un de la Tokuma Shoten serait devenu un producteur mais ils n'avaient même pas un studio d'animation. Et je ne pouvais pas non plus tout faire. Ainsi, je leur ai demandé "Proposez à M. Takahata d'être le producteur". J'ai entendu dire que M. Takahata a dit oui après avoir noircit un bloc note en entier, pour trier ses idées mais je sais qu'il ne voulait pas le faire. -rires-
En vérité, un directeur ne peut pas produire le film de quelqu'un d'autre. Vous ne pouvez pas éviter les mauvaises paroles si vous commencez à critiquer les films des autres. Si deux directeurs ont une querelle face à face, il y aura mort d'homme. -rires-

Yom : M. Takahata et vous, avez donc conçu une relation professionnelle dans laquelle vous pouvez vous déléguer les affaires réciproquement?
Miyazaki : Délégation ou pas, je le prends juste comme "Tu m'as donné ce projet, cela veut donc dire que je peux le conduire comme je veux". Si l'un des deux se mèle du travail de l'autre, nous ne pouvons jamais parvenir à un arrangement. Nous avons cette sorte de relation. Je n'ai donc pas dit un mot, même quand nous faisions Yanakawa Horiwari Monogatari. Mais quand il a dit que le film allait faire quatre heures, j'ai dit "Pardonne-moi, je ne peux pas le permettre".

Yom : Il a finalement duré deux heures et quarante cinq minutes. Mais je n'ai pas ressenti qu'il était trop long.
Miyazaki : Je pense que deux heures auraient été mieux si nous voulions que plus de personnes aillent le voir mais nous n'y pouvions rien. Du moment que nous avions choisi Isao Takahata en tant que directeur, cela ne pouvait finir que de cette manière. Des films sont faits ainsi. Nous ne pouvons pas le faire avec un film pour un large public mais nous pouvons l'effectuer avec ce type de film. Grâce à cela, nous avons évacué la frustation que nous avions accumulée. C'est merveilleux d'entendre dire "Ce n'est pas un problème si les billets se vendent bien ou pas ". En réalité, nous amortissons l'investissement patiemment, petit à petit.

Kiki's Delivery Service

Miyazaki : À l'origine, je n'étais pas supposé réalisé Kiki. Ce que j'ai fait, a juste été d'amorcer le projet. Quand le sujet nous a été soumis, j'ai déclaré "C'est un bon projet pour les jeunes membres de notre personnel" et j'ai aligné une équipe jeune et j'ai commencé le projet. Cependant, je n'ai pas aimé le scénario présenté. J'ai donc dit que si personne l'écrivait, je l'écrirai et je l'ai écrit. Ensuite, le jeune directeur a été intimidé et n'a pas voulu diriger. Finalement, je me suis mis à diriger. Je me suis pris à mon propre jeu.

Les choses que je ne peux pas effectuer même si je désire les faire

Yom : Vous avez été le producteur d'Omohide Poroporo mais le film était l'univers de M. Takahata.
Miyazaki : Je me considère comme un représentant des films populaires et je pense que je continuerai à faire des films populaires mais d'un autre côté, quelque part en moi, j'ai commencé à sentir que je ne voulais pas faire un film populaire. Et M. Takahata, davantage. Si nous le laissions faire, il effectuerait une animation qui ne gagnera pas un centime -rires-. Comme le Yukara des Ainu[5]. Il dit toujours qu'il veut le faire mais c'est absolument impossible ici -rires-. J'insiste pour dire que ce serait creuser une tombe pour le studio et qu'il ne peut pas faire une telle chose. C'est ainsi. Ce serait mieux si nous allions six pieds sous terre avec les quelques projets que nous désirions mais nous ne pouvons pas. Je pense qu'il est impossible de faire tout ce que vous voulez. Vous devez faire ce genre de film dans un autre lieu que celui d'un film qu'un ou deux millions de personnes paient pour voir et dont ils sont satisfaits. Quand je regarde un film comme Le chasseur à l'approche de Talkovsky, je réagis : "Il fait comme il lui plait!". Je pense que c'est quelqu'un de talent. La chose qui m'impressionne le plus pour Gaudi, est qu'il a réussi à avoir des sponsors, c'est sa force politique plutôt que son oeuvre. Combien de personnes ont été déçues par ses travaux. Je pense qu'un tel aspect fait partie aussi du talent. Je considère que l'animation est quelque chose un peu plus populaire et nous devons connaître nos limites, ce que nous pouvons faire.

Interview principale

Yom : Nausicaä s'est terminée après treize ans.
Miyazaki : Il y a cinquante neuf épisodes, ainsi, si nous résumons rapidement, cela fait cinq ans. Mais entre le temps écoulé après et avant, je n'ai probablement réellement passé que la moitié de ces douze ou treize ans sur Nausicaä. Pour vous dire la vérité, c'était l'oeuvre dont je me demandais toujours, si je pourrais la finir depuis le temps que je l'avais commencée. Je pouvais dire que j'étais capable d'écrire sans penser à la suite, parce que j'avais décidé que je pouvais l'arrêter n'importe quand. Je travaillais en pensant "Cela prend cette tournure", pas "Je veux que cela prenne cette tournure".

Yom : C'est donc ainsi? Comme c'est un univers avec une grosse intrigue, que nous pouvons qualifier de récit épique, nous avons pensé que vous aviez détaillé le plan de l'histoire du début jusqu'à la fin, et que vous écriviez patiemment en prenant votre temps.
Miyazaki : Non, non, je n'ai pas une telle capacité de planification. J'ai écrit quelque chose parce que j'étais confronté à une date limite et je n'ai réalisé sa signification que beaucoup plus tard. J'ai eu ce genre d'expériences plusieurs fois.

Yom : Le film a été réalisé en 1984, trois ans après que vous avez débuté le manga, et cette année, dix ans plus tard, il s'est achevé. Pendant ce temps, il y a eu beaucoup d'articles écrits dessus dont quelques critiques.
Miyazaki : Il semble que ces critiques proviennent des personnes qui ont lu le manga avec l'impression qu'ils ont eue du film. Ils ont accepté Nausicaä comme une combattante pour l'environnement et ils ne sont pas allés plus loin que cette notion préconçue. Nous pourrions dire que le manga n'a pas réussi à avoir un pouvoir suffisant pour modifier cette vision.

"L'histoire ne finira pas."
"L'oeuvre que je n'étais pas sûr de pouvoir finir."

Yom : L'histoire elle-même est très différente entre le manga et le film. Dans le manga également, nous pouvons voir un aspect plus appronfondi de la personnalité de Nausicaä.
Miyazaki : Evidemment. Si le manga et le film étaient pareils, il n'y aurait aucune raison pour ce que je continue à écrire la manga. Je n'étais pas sûr si je pouvais ou de comment je pouvais le réécrire, mais il y avait des parties dans le film dont je n'étais pas complètement satisfait et je me suis donc forcé à le poursuivre. Pour dire la vérité, c'était comme si je me libérais de mon bureau quand je devais arrêter d'écrire pour faire le film suivant. Ce n'est pas une chose que je peux avouer fièrement. Même après avoir fini le film suivant, et en ayant un peu de temps devant soi, c'était dur pour moi de retourner sur Nausicaä. à la fin, je me suis arrêté d'écrire à quatre reprises.

Yom : Le film est devenu une figure de proue pour le mouvement écologiste qui commençait juste à être très en vogue dans les années quatre vingt.
Miyazaki : Je n'y ai pas du tout pensé mais je crois c'est arrivé là par hasard. C'est ce à quoi nous pensions depuis si longtemps et cela a débuté avec des choses telles que le livre de M. Sasuke Nakao. Je veux dire par là que je n'ai pas commencé Nausicaä pour écrire un récit sur l'écologie dans l'intérêt de protéger l'environnement. J'ai d'abord eu l'intention d'écrire une histoire qui se déroulait dans un désert mais ce n'était pas intéressant si je la transposais en dessins. Je l'ai donc mise dans la forêt. Ensuite, c'est devenu ce genre d'histoire. En ce sens aussi, je n'ai pas eu de grosse intrigue. Le processus d'écriture était de la sorte :"Cela semble aller de cette manière donc continuons ainsi". J'étais face à un bloc de papier, je voulais donc quelque chose de grand, d'où des guerriers géants endormis... Cela aussi, je l'ai juste écrit dans le récit en disant des choses comme "Que va-t-il se produire? Je suis désemparé. J'ai continué à travailler en me répétant des mensonges comme "Ce sera éventuellement à l'étude. Le magazine aura disparu avant..." -rires-

Yom : Qu'avez-vous essayé d'écrire quand vous pensiez à un désert?
Miyazaki : Sincèrement, je ne m'en souviens pas. Je sais que j'ai du penser à beaucoup de choses...La seule chose dont je me souviens est que j'étais très irrité. C'était le fait d'être dégoûté par la manière dont la société fonctionne ou quelque chose du même genre.

Yom : C'était en 1981, 1982?
Miyazaki : Cétait juste avant ou après 1980. Non seulement dégoûté par les problèmes d'environnement mais aussi par la voie où les hommes se dirigaient. Surtout par la manière d'être du Japon. Et j'ai été le plus dégoûté par ma propre façon d'être à cette époque.

Yom : Ainsi, au sommet de la bulle économique, vous étiez...
Miyazaki : J'étais très embarrassé. J'étais si bouillonnant. Suis-je calmé pour autant maintenant? Je pense que le sujet de ma frustation s'est déplacé quelque part...

"Quand j'ai fini le film, j'étais au pied du mur."

Yom : Si vous n'aviez pas d'intrigue solide au départ, n'était-ce pas difficile lorsque la fabrication du film de Nausicaä a été décidée?
Miyazaki : J'étais vraiment mal. Si cela avait été le récit de quelqu'un d'autre, je pouvais le rejeter mais là, cela venait de moi et je ne pouvais rien objecter. Même si ce n'était pas écrit dans le manga, derrière chaque case, j'ai mes désillusions, mes pensées et mes sentiments. En utilisant la même trame que dans le manga déjà, en la réarrangeant et en en changeant le sens, j'ai du imposer des limites afin de pouvoir conclure l'histoire. Un film doit commencer une histoire et la finir. Certains pourraient dire "Non, commencer c'est suffisant" mais je suis quelqu'un qui crée des films de divertissement donc je pense aux limites pour pouvoir finir l'histoire. Je n'ai pas pu faire plus avec le film. L'important est que Nausicaä ait fait le tour de Copernic quand elle a trouvé la signification, le rôle et le système de la mer de pollution. J'avais décidé que ce serait jusqu'où irait le film mais j'avais trop de choses que je ne pouvais pas placer dans ces limites et je n'ai pas pu les sortir. C'était bien sûr impossible, comme j'avais décidé d'écrire dans le manga, pour commencer, ce que je ne pouvais pas faire avec le film.

Yom : Voilà pourquoi le manga et le film de Nausicaä sont totalement différents. C'est à cause de cette manière de commencer et d'achever une histoire dans un film.
Miyazaki : Même si je devais faire le film de Nausicaä maintenant, après avoir fini le manga, je referai le même film. Je ne crois pas que cela changerait.

Yom : La manière dont finit le film a-t-elle influencé le manga?
Miyazaki : Comme je l'ai dit avant, le film s'est terminé et je n'ai pas écrit le manga pour le dupliquer. Je n'ai pas du tout pensé à ce que j'ai fait dans le film. De toute manière, j'ai oublié ce que j'ai fait -rires-.
Mais quand j'ai travaillé sur le film Nausicaä, j'ai maintenu que je faisais Nausicaä avec des souhaits, pas suivant la réalité. Mais quand j'ai fini le film, j'ai trouvé que je m'étais inséré dans le domaine de la religion beaucoup plus que je le voulais. J'ai pensé que ce n'était pas bien et j'étais vraiment amené dans une mauvaise passe. Ainsi, après le film, je me suis dit que j'appréhenderai le problème plus sérieusement pour continuer le manga mais une fois commencé, il y a trop de choses que je ne comprenais pas. Du début jusqu'à la fin, j'ai fini par écrire un tas de choses que je n'ai pas comprises.

Yom : Ce fut plus long après que vous ayez fini le film.
Miyazaki : Oui. Il a du y avoir des lecteurs qui allaient et venaient, et j'ai écrit dans le magazine en pensant qu'il se pourrait qu'ils ne comprennent pas ce qui se passe. Cependant, j'ai fini par trop penser aux choses que je ne comprenais pas.

Yom : Que voulez vous dire?
Miyazaki : Si nous prenons l'existence de Dieu comme principe, nous pouvons ainsi expliquer le monde. Mais je ne peux pas le faire. Néanmoins, j'ai mis les pieds dans un domaine où je ne voulais pas entrer, tels que les hommes ou la vie. Je peux réussir à comprendre le monde en tant que conflits et contradictions chez les hommes mais je ne me suis pas retrouvé satisfait avec ce niveau d'explication. Ensuite, je n'avais rien que je pouvais dire sur le ton de la confidence. Ma tête me tournait rien qu'en pensant à ce que vous feriez si vous étiez appelé "maman" par un guerrier géant avec une telle puissance de destruction. La perplexité de Nausicaä est juste ma propre perplexité.

Yom : à l'approche de la fin du manga, le guerrier géant a un rôle complètement différent de celui du film.
Miyazaki : Vous pouvez trouver une similitude avec beaucoup de cultures populaires où un géant vous donne une force. Comme le gardien d'éléphants dans Tarzan ou Tetsujin 28[6]. La raison pour laquelle ils apparaissent tant de fois sous diverses formes, peut être expliquée par notre souhait de retourner à une grande existence ou notre tendance à vouloir grandir, ou quelque chose du même type. Habituellement, dans la culture populaire, cela a été rendu ambigüe en se contentant d'affirmer qu'un pouvoir immense est parfait, s'il est bon. En réalité, la plupart du pouvoir a été fait par la technologie. Je pense qu'une technologie en elle-même est neutre et innocente. C'est similaire aux automobiles. Elle sont loyales et toutes dévouées à leurs conducteurs. Nous nous sentons rassurés, en pensant que les machines n'ont pas de coeur mais en vérité, les hommes donnent des coeurs aux machines. Un coeur loyal, une dévotion innocente et le sacrifice de soi sont l'essence de vie des machines. C'est comme un chien qui obéit aux ordres de son maître, sans considérer comment le maître peut être diabolique. Je crois que penser que les humains donnent des coeurs aux machines est la base des trois règles d'Asimov pour les robots[7]. Le guerrier géant de Nausicaä n'est donc pas une idée originale. Pour la conception aussi, vous pouvez trouver sa racine dans beaucoup de concepts qui existaient déjà. Mais à partir du moment où j'ai donné une forme tangible à l'innocence, c'est devenu quelque chose que je ne pouvais pas contrôler. Je pense que je lui ai donné une forme parce que j'ai un profond désir pour les innocents.

Yom : L'histoire a changé après que le guerrier géant soit devenu intelligent.
Miyazaki : Quand j'écris ce genre d'histoire, je ne vois pas d'autre explication que de penser qu'une idée me soit venue à l'esprit ou que des pièces sans signification aient signifié quelque chose pour moi. Même si les structures de l'oeuvre s'effrondraient, je ne devrais pas oublier ces pièces. Non, je ne peux pas bien l'expliquer. Je crois qu'il doit y avoir des gens qui peuvent l'expliquer avec des mots plus appropriés, profonds et affinés, avant même que je ne puisse commencer à y penser. J'ai malheureusement réalisé que je n'avais pas une telle facilité.

"J'ai perdu mes mots."

Yom : C'est ce que vous entendez par un domaine religieux?
Miyazaki : Les nombreuses choses dans l'esprit humain, dont nous disons qu'elles ont un sens, vous pouvez leur attribuer de diverses idées ou croyances et je pense qu'elles pourraient réellement exister dans la nature... Nous devenons confus parce que nous avons différents désirs matériels. Mais je crains que si nous voulons nous éloigner de telles désirs et rejoindre un lieu pur, nous devrions être capables d'atteindre un lieu comme une pierre ordinaire ou des gouttes d'eau. Mais à partir du moment où nous mettons ces pensées sous forme de mots, tout devient une religion méprisable. Je n'ai pas écrit ainsi et je n'ai pas atteint un tel niveau. Finalement, j'ai commencé à faire plus attention au guerrier géant qu'aux hommes.

Yom : Ou nous faisons plus attention aux Ohmu. Quand nous lisons Nausicaä, tant de choses se produit...
Miyazaki : En tombant dans une telle situation, les choses ne sont pas sorties. Tandis que je pensais quelques fois que c'était comme Docteur Strangelove, je n'ai même pas su si c'était vraiment étrange. Les choses que nous pensons, sont caractéristiques des humains, comme les sentiments, même si elles peuvent être partagées tel un simple poison moral, de par le monde. Peut être que ces choses que nous partageons, sont seulement suscitées chez les hommes. Ce sera impossible que j'y réfléchisse à moins que je le fasse avec un meilleur cerveau. Je pense jusqu'à présent, que je ne dois pas le mettre sous forme de mot. Je suis tombé dans ce genre de situation. Même si je considèrais que ce serait dangereux, je n'y pourrais rien parce que j'ai déjà introduit le guerrier géant il y a dix ans. Je n'ai pas le droit de dire "Je l'ai mis mais je l'ai oublié" -rires -. Ainsi, plutôt que créer l'histoire, j'ai juste suivi derrière.

Yom : Le récit évolue en lui-même...
Miyazaki : Plutôt qu'évoluer, il a juste été là. Et il n'a pas évolué pas dans la direction que je voulais. Néansmoins, j'ai du forcer l'histoire à aller dans la direction que je désirais, bien que je pensais personnellement, qu'elle était franchement erronée. Mais je n'aime pas faire cela. à la fin, est-ce que Nausicaä, la fille qui avait supporté tant de fardeau sur ses épaules, allait revenir à la vie normale? Une telle personne pouvait-elle vivre sans aller mal? La seule chose que je savais, c'est que même si elle ne pouvait pas revenir, elle continuerait à être là et à être témoin.

Yom : Il y a une sorte de solution dans le film mais dans le manga, depuis le début, Nausicaä pose beaucoup de questions. Et en ne les résolvant pas, cela fini avec de plus en plus de questions posées.
Miyazaki : Oui. Je n'y peux rien mais demander ce qu'est la vie est une question à laquelle je ne pouvais pas répondre, je le savais depuis le départ. Mon chien a seize ans et peut mourir d'un jour à l'autre. Il voit difficilement. Il parvient seulement à renifler un peu et une seule de ses oreilles fonctionne à peu près. Mais il est encore vivant. Quand je vois son visage, il ne semble pas heureux mais quand j'essaye de le sortir pour une promenade, il parait un peu plus heureux. Je me demande ce qu'est la vie. C'est étrange, depuis que j'ai perdu mes deux parents, j'y repense en voyant mon chien, mais par exemple, je ne pense plus au chien qu'il a été. Les ondes se déploient à la surface de l'eau et comme elles se déploient, elle diminuent graduellement. Ce sont les même ondes mais ce ne sont pas les mêmes ondes fortes juste après leur apparition - je ne comprends peut être pas cet état. Il y a beaucoup de choses où il est dit qu'une telle forme de vie est un support de gènes égoïstes mais après tout, nous ne comprenons pas plus. Depuis peut être des temps très reculés, de grands hommes se sont penchés sur la question. Je veux dire par là, que je viens de commencer à comprendre qu'ils ont ressenti quelque chose, semble-t-il, avant même que des choses comme les études ne soient institutionnalisées.

Yom : Vous apprenez qu'il y a beaucoup de choses que vous ne pouvez pas comprendre.
Miyazaki : Oui. Je comprends que je ne peux pas expliquer simplement et superficiellement la relation entre la nature et les hommes, ou la nature dans l'homme. Cependant, vivre est la manière de conserver cet "équilibre superficiel" et je peux dire que nous ferions mieux d'agir pour conserver un équilibre. Mais si je m'aventure plus profondément, je rencontre trop de questions chaotiques dans lesquelles je dois affronter l'obscurité de l'univers. Et il semble que la clef de ce genre de questions se situe dans les pensés des gens du passé, qui se sont enfouis dans les montagnes, plutôt que dans nos propres têtes. Ces jours-ci, j'ai été effrayé quand j'ai entendu des paroles religieuses que j'ignorais avant. J'ai senti, "Oh, on en a aussi parlé aussi". Derrière ces simples mots, par exemple, dans un livre élémentaire du Bouddhisme, il y a une grande expérience derrière ou beaucoup de choses simulaires. Je peux le ressentir mais c'est tout. Je ne peux pas les comprendre entièrement. Je suis désorienté. Au moment où je copie les mots, ils commencent à changer. Mais contrairement à des hommes comme Shinran[8], qui les a écrit sans crainte, je n'ai pas pu. J'ai décidé que Nausicaä ne dirait pas les mêmes choses parce que, inévitablement, cela aurait sonné faux. Je pense que j'ai compris les choses plus clairement mais comme j'ai écrit Nausicaä, c'est vraiment devenu plus difficile pour moi de faire la part des choses. Je veux dire que c'est comme si j'avais perdu mes mots. C'est juste comme si Nausicaä en personne restait en dehors du monde des mots, et j'ai pensé que je ne voulais pas la faire exprimer avec des mots. Du moment que je mets "Je pense que ceci est cela" sous forme de mots, cela devient une chose différente.

Yom : Peu après que Nausicaä ait dit "Je continuerai à mentir", le récit s'achève...
Miyazaki : C'est plus adapté à mon héroïne, c'est devenu ainsi. Je n'ai pas le choix mais c'est son amour pour les vies autour d'elle. De toute façon, " Nous avons raison, nous avons vaincu l'ennemi et la paix reviendra" est un mensonge. Au moins, je suis capable de dire de façon définitive, que c'est un mensonge. Il y a les bonnes choses et les mauvaises choses. Vous pouvez faire les bonnes choses. Mais la personne qui effectue les bonnes actions n'est pas nécessairement une bonne personne. Cela signifie qu'elle a fait des bonne choses. à l'instant qui suit, elle peut faire de mauvaises choses. C'est humain. à moins de penser ainsi, nous nous trompons sur tout, y compris sur les décisions politiques et sur nous-mêmes.

"L'effondrement de l'Union Soviétique a été plus facile que celle de Doruk."

Yom : Pendant la période ou vous écriviez Nausicaä, beaucoup d'évènements sont arrivés à l'exterieur du Japon. Y a-t-il eu quelque chose qui vous influencé?
Miyazaki : Le plus choquant a été la guerre civile en Yougoslavie.

Yom : Vous voulez dire?
Miyazaki : J'ai pensé qu'ils ne recommenceraient pas. J'ai pensé qu'ils étaient fatigués de poursuivre de tels actes comme ils avaient fait des choses si horribles avant, mais non. J'ai appris que les hommes n'en ont jamais assez. Cela m'a dit à quel point j'était naïf.

Yom : Contrairement à la guerre du Golfe, ce fut un vieux type de guerre.
Miyazaki : Dans un sens, la guerre du Golfe a été facile à comprendre. Le gouvernement irakien est très semblable au gouvernement japonais de la dernière guerre. Ils envoient juste les soldats dans quelques îles ou désert, et leur disent "débrouillez vous" sans leur envoyer d'eau ni de nourriture. C'était triste de voir de tels miltaires parce qu'ils ressemblaient aux militaires japonais. Mais c'est différent en Yougoslavie. Je pense que cela a été commencé par quelques groupes. Mais nous n'avons pas pu les arrêter. C'est comme la montée du nazisme en Allemagne, beaucoup de gens qui y étaient, ont dit que c'était juste une série de groupes mais ils ont grandi avec une force irrésistible. Par exemple, lorsque nous regardons les actualités à CNN, les Serbes paraissent mauvais de façon accablante. Mais si vous allez à la racine, c'est quelque peu différent. Il y a un conflit entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe orthodoxe à l'intérieur de la chrétienté. Pas étonnant que les Serbes se méfient de l'OTAN. Ils préfèrent avoir les Russes. Alors, les Serbes ont-ils raison? Non. Les deux parties sont vraiment stupides et commettent des actes impardonnables. Même s'il y a une chose comme la justice, une fois que la guerre est enclenchée, tout est corrumpu. C'est la guerre.

Yom : Nausicaä a dit aussi "il n'y a pas de justice".
Miyazaki : J'ai diverses lectures comme je m'intéresse à la guerre. Les gens me pose donc des questions du style "Vous aimez la guerre". Je leur réponds "Pensez vous que les chercheurs sur le SIDA aiment le SIDA?" mais je suis forcé de reconnaître que ma compréhension de l'Histoire a été très naïve.

Yom : Et à propos de l'effondrement de l'Union Soviétique?
Miyazaki : C'est arrivé juste à l'époque où je décrivais l'effondrement d'un pays appelé Doruk dans Nausicaä. En l'écrivant, je me demandais s'il était possible pour un tel empire comme Doruk de disparaître si facilement, et j'ai donc été vraiment surpris que l'Union Soviétique se soit effondrée encore plus facilement. Un pays s'effondre et au même moment, les gens peuvent poursuivre leur vie quotidienne. Une telle chose peut vraiment se produire. Je me suis demandé pendant longtemps ce qui s'était produit, ce qu'il était advenu à ces gens qui vivaient quand l'Empire romain d'Occident est tombé, mais avec l'effondrement de l'Union Soviétique, j'ai eu une espèce de réponse.

Yom : Je dirai que c'est une bonne corrélation...
Miyazaki : Il y a eu beaucoup de choses que j'aurai du écrire sur la fin de l'Empire Doruk. Mais, d'un autre côté, je suis embarrassé de dire qu'il y avait une limite à ma productivité, seize pages par mois, et il y a eu beaucoup de choses que je n'ai pas écrites. Pourquoi le pays est-il tombé, ou pour commencer, quel était ce pays? Quelle sorte de système avaient-ils, pourquoi le système n'a plus marché... Je savais que je devais décrire ces points mais pendant que je me retranchais derrière l'excuse, que le temps me manquait, l'empire est tombé de lui-même dans le manga et dans le monde réel, l'Union Soviétique aussi.

"Nausicaä a changé ma façon de penser."

Miyazaki : Pendant que j'essayais de conclure Nausicaä, j'ai effectué ce que certains appellent un tournant. J'ai totalement abandonné le marxisme. Mais je n'ai pas eu d'autre solution que de l'abandonner. J'ai décidé que c'était faux, que son matérialisme historique aussi et que je ne devais plus voir les choses ainsi. Et cela a été un peu dur. Même maintenant, je pense quelques fois que les choses seraient plus faciles si je n'avais pas changé. Ce n'est pas que j'ai changé de manière drastique ou changé par une lutte sans merci pendant que j'écrivais, mais des questions intérieures me sont devenues irrésistibles. Je pense que ce changement net dans ma manière de penser est venu de mon écriture sur Nausicaä, plus que par le changement de ma position dans la société. Par exemple, au départ, j'ai même hésité à faire de Nausicaä la fille du châtelain Ghil - en clair, une princesse. Je croyais que certains pourraient dire que Nausicaä est dans une sorte de classe d'élite, je me l'imaginais donc ainsi, mais ces points sont devenus sans importance pour moi. Où elle était née ne représentait pas un problème. Je ne voulais plus avoir de telles discussions. Aucun problème avec la classe où quelqu'un nait, une personne stupide est une personne stupide et une bonne personne reste bonne. Ce n'est pas qu'untel ait raison ou tort, il faut juste savoir si c'est un bon gars, si j'ai envie de devenir ami avec lui. C'est un mensonge de dire qu'untel est bon juste parce que c'est un travailleur. Le grand public fait beaucoup de choses idiotes. Je n'arrive pas à croire aux élections. Avec ce genre de choses, je reviens aux sources. Ce n'est pas garder les yeux ouverts comme cela a été dit plusieurs fois. Si je pense revenir en arrière, mon visage s'assombrit mais je crois que je dois l'accepter. Je crois que je dois voir les choses à ma manière. Quand j'ai vu le film de Mao Tse-tung pour la première fois, qui recevait les acclamations de la foule sur la place Tiananmen, je crois que c'était à la fin des années cinquante, j'ai trouvé que son visage était vraiment néfaste et laid. Mais comme on m'avait dit qu'il avait une grande personnalité et un tas de choses, j'ai cru qu'il était malade et pas photogénique ce jour-là -rires-, je l'ai vraiment pensé. Mais en y repensant, j'aurai du suivre ma première impression. Cela s'est produit à beaucoup de reprises. J'ai toujours essayé de contenir mes sentiments avec mes idéaux. J'ai arrêté de le faire. J'observe aussi les politiciens contemporains juste à partir de mes impressions.

Yom : Avec votre intuition...
Miyazaki : Le sentiment que c'est une bonne personne plutôt qu'une intuition. Même si elle n'a pas des capacités politiques, c'est une bonne personne. Nous ne pouvons pas en espérer grand chose de toute manière, donc la plus gentille est la meilleure. J'en suis au stade de tenter d'observer les choses à ce niveau. En bref, je tourne le dos à la stupidité.

Yom : N'est-ce pas plutôt monter des escaliers en colimaçon plutôt que de tourner le dos?
Miyazaki : Je pense que je pourrai juste tourner autour sans arrêt. Par exemple, il y a un mouvement national appelé le Mouvement de la forêt de Totoro et ils utilisent les personnages du film pour promouvoir le mouvement. Mais je ne coopère pas parce qu'ils ont raison. Je coopère parce que ceux qui sont dans ce mouvement sont sympathiques. Ils sont si proches de la terre. Ce sont des personnes qui ont aimé les champs de Sayama[9] bien avant qu'ils aient commencé le mouvement, ils se sont promenés dans les environs pour observer les plantes et les oiseaux pendant leur temps libre et en pensant comment ils pourraient faire quelque chose pour cet endroit. Parce que ce sont de tels gens, nous sommes heureux de leur laisser utiliser nos personnages. Si quelqu'un comme un fasciste de l'écologie était à leur tête, je me retirerais. Comme cela, ces jours-ci, je m'associe avec des gens non pas parce qu'ils ont raison ou bien tort mais parce qu'ils sont sympathiques. Mon monde devient donc de plus en plus petit -rires-.

"Résoudre le problème de l'environnement en nettoyant les rivières dans le voisinage."

Yom : Et à propos du Japon dont vous disiez être dégoûté avant de commencer Nausicaä?
Miyazaki : J'ai passé le stade du "Ca leur servira de leçon" après l'éclatement de la bulle économique et je me sens regaillardi maintenant. Les problèmes n'ont pas été du tout résolus mais cela a démoli le mur et des choses de l'extérieur sont en train de pénétrer. La pénurie de riz n'était rien[10]. Ce n'est pas comme si les gens mourraient de faim. C'était plutôt étonnant par rapport à la puissance économique, cependant.

Yom : Vous voulez dire que si nous voulons, nous pouvons importer.
Miyazaki : Si c'était arrivé dans les années 1940, il y aurait eu un grave problème, mais maintenant nous avons juste quelques plaintes du genre "Le riz thai n'est pas aussi bon". J'ai pensé que c'était une puissance économique étonnante. Au même instant, je croyais aussi qu'il était dur de survivre pour un pays sans puissance économique. Je suis lassé de discuter de l'agriculture japonaise. Si je dis ceci, je pourrai être pourtant mal compris. Il m'est arrivé de rencontrer un fermier qui m'a dit qu'il voulait conserver un riz bio sans pesticide et j'ai donc décidé de lui acheter son riz, même si le prix a monté dans cette mauvaise année de récolte. Le problème de l'agriculture a été résolu ainsi chez moi -rires-. Bien sûr, il n'y a pas de solutions mais je n'apprécie pas les expressions sensationnelles du genre "L'agriculture japonaise est perdue" autant que je n'aime pas "Les films japonais sont morts" bien que je comprenne leur colère. Je sens d'un manière ou d'une autre que ce n'est pas cela. Vous ne gagnez pas ni ne perdez si facilement. J'ai seulement été irrité quand j'ai entendu la coopération agricole croire être dans l'un ou l'autre cas pendant que nous discutions des problème agricoles. Je veux juste le résoudre à un niveau personnel. Ce n'est pas quelque chose dont je puisse être fier. Mais, même ainsi...C'est différent si quelqu'un commence à mourir de faim, cependant. Ces derniers jours, j'ai ainsi réfléchi. Aux problèmes d'environnement aussi. Comme les gens de la commune nettoient la rivière dans mon voisinage, je les rejoins quand j'ai le temps. Cela veut juste dire que nous portons seulement les sacs poubelles, vous savez. En bref, il y a beaucoup de choses contre lesquelles nous ne pouvons rien faire si nous les considérons en tant que généralités. Les choses ne vont pas bien parce qu'il y a un immense fossé entre les généralités et les particularités. Mais un homme peut souvent se satisfaire des particuliarités. C'est ce que j'aime le mieux actuellement. Si nous regardons les généralités depuis le sommet d'une montagne ou d'un avion, nous sentons que c'est sans espoir mais si nous redescendons, il y a une belle route de cinquante mètres, nous sentons que c'est une belle route et si le temps est beau et ensoleillé, nous sentons que nous pouvons avancer. Je me demande si nous nous sentons si différents selon nos points de vue. Je crois qu'effectuer de telles actions me convient mieux que de parler de grandes choses sur une scène dans un colloque ou une conférence. Mais je conduirai une voiture et polluerai. Si tout le monde doit arrêter, je ferai de même mais sinon, je continuerai à conduire jusqu'au bout. Augmentez le prix du carburant à trois cents yens par litre -rires- Euh, je jase comme il me plait, n'est-ce pas?

Yom : Ainsi, il n'y aura pas tant de voitures.
Miyazaki : Je me mets en colère quand j'entends quelqu'un dire "Si nous baissons le prix du carburant, cela stimulera l'économie japonaise". Seulement ceux qui désirent en payer le prix, devraient conduire. Que tous conduisent une voiture n'est pas un progrès ou une équité chez les hommes ou autre chose. Maintenant, nous avons le problème de la popularisation de tout. Comme j'appartiens au grand public, même si je vois un film du Zeppelin et désire piloter un dirigeable, si je suis dans ce cas, je ferai partie de ceux qui ne peuvent pas en piloter un. Cependant, je ne crois pas que nous ferions mieux de laisser à tout le monde l'occasion de piloter un dirigeable.
Je suis en train de penser à mettre de la terre et de l'herbe sur le toit de ce bâtiment[11] cette année. Cela ne résoudra aucun problème mais c'est mieux d'agir que d'être juste en colère. J'ai entendu dire que le coût du chauffage et de la climatisation changerait en procédant ainsi. Beaucoup de gens disent que ce n'est pas une grande solution et ce n'en est pas une mais je pense que si je peux le faire, je le ferai.
Il existe un photographe qui travaille sur un projet pour inviter au Japon des enfants victimes des radiations à Tchernobyl et pour leur fournir un traitement. Après être restés au Japon pendant un mois, ils sont devenus en meilleure santé, comme ils avaient aussi une meilleure nutrition. Par exemple, un enfant qui avait arrêté de grandir s'est remis à croître. Mais il sait que l'enfant reviendra à l'état précédent, une fois retourné chez lui, un mois plus tard. Et il est torturé par la pensée que même s'il amène dix gosses ou plus au Japon, ce sera inutile pour le reste des autres milliers d'enfants. Je crois que c'est juste bien - bien que si je dis cela, je risque de ne pas être compris - Je pense que c'est ce que les individus peuvent faire. "Est-ce sans importance si l'enfant meurt?" Non, cela ne l'est pas. Peut être que ce que ces enfants ressentaient à cet instant représente tout. Mais du moment où je mets ce genre de chose sous forme de mots, il y aura un malentendu quelque part. C'est difficile. Si nous essayons de juger selon les résultats, beaucoup de choses deviennent difficiles. Si nous disons "Ce moment est important", quelqu'un pourrait le prendre comme si nous avions seulement fait attention à ce moment. C'est difficile. C'est vraiment dur de le transposer sous forme de mots.

Yom : C'est facile d'accuser les mots. Tout ce que vous dites, vous pouvez le renier.
Miyazaki : Il y a beaucoup de choses que je ne peux pas transposer sous forme de mots. Je dis "Nous devons juste nettoyer la rivière" parce que trop de gens me placent l'étiquette "ecolo" sur le dos.

Yom : Vous avez prononcé ces paroles dans l'intention de créer une contreverse.
Miyazaki : Oui. En vérité, je ne voulais rien dire. Je ferai mieux d'agir et de ne pas dire un mot. C'est mieux si je crois que je fais ceci, parce que c'est un effort commun.

"Laisser ce que je ne comprends pas."

Yom : Après avoir fait le film Nausicaä, et tandis que vous continuiez à écrire Nausicaä, vous avez fait des dessins animés tels que Laputa, Totoro, Kiki et Porco Rosso. Ce sont des dessins animés d'un type différent de Nausicaä.
Miyazaki : Je crois que j'ai été capable de les faire parce que j'écrivais Nausicaä. Je considère Nausicaä comme étant le plus dur. C'est éprouvant de revenir au monde de Nausicaä et je ne veux pas y revenir. Même si j'écrivais dans ce monde, écrire un tel travail a compliqué mon retour vers la société.

Yom : Vous continuez à vous effacer?
Miyazaki : Oui. Mais si je suis au milieu de la production d'un film, c'est tout un tas d'histoires. Mon attention est focalisée sur tous les détails quotidiens. "Quel bêtise fait-il encore?" ou "Il ferait mieux de prendre une femme" -rires- ou ce genre de sujets. C'est vraiment matériel. Et nous faisons un tas d'histoires pour savoir si les gens viendront voir le film ou pas. Après avoir fini un film, abattu, je déconnecte et Nausicaä attend ensuite. Je déteste cela. J'ère autour six mois ou plus et alors, je commence à écrire parce que je n'ai pas le choix. Mais comme je l'ai dit avant, pour avouer la vérité, j'ai fait des films parce que je voulais m'échapper de Nausicaä. Je n'avais pas l'intention de faire un travail léger parce que je faisais beaucoup ici mais si je n'avais pas écrit Nausicaä je crois que je me serais acharné à mettre un peu plus de consistance dans les films. En prenant du recul, c'est ce que je pense maintenant. Je ne pensais pas ainsi et je les ai fait parce que je croyais que ce genre de films était bon. Ce n'était pas comme si j'avais planifié l'écriture de Nausicaä et je ne pensais donc pas que je ne ferai rien ensuite.

Yom : Quels sont vos perspectives après avoir conclu Nausicaä.
Miyazaki : Conclure Nausicaä ne signifie pas que les évènements se sont terminés ou ont été conclus. Les choses continuent sans fin mais nous sommes arrivés au point du "à partir d'ici vous êtes au courant". Je veux dire que nous sommes au même point de départ de notre monde moderne, si difficile à comprendre. à partir de ce point, d'innombrables choses stupides arriveront et il y aura des efforts pour aussi leur tenir tête. Et elles se répèteront encore et encore. J'ai essayé de conclure au point où nous pouvions commencer à l'apercevoir. J'ai réalisé ceci pendant que j'écrivais mais le rôle de Nausicaä n'est pas réellement celui d'un leader ou de conduire les gens. Et la structure du récit est telle que les gens qui ont cru en Nausicaä continuent à faire bouger les choses. Ce n'est donc pas une intrigue habituelle dans la façon où les histoires sont structurée en générale. Cela m'a également troublé. C'est fini mais j'ai beaucoup de choses que je dois sortir comme celles-ci au moment où le dernier volume sera publié. Mais j'ai décidé d'arrêter, en laissant les choses que je n'ai pas comprises telles qu'elles sont. D'un autre côté, je ne peux pas terminer l'oeuvre que j'ai commencé à quarante ans et je ne peux pas devenir plus mature. En réalité, au moment où j'ai fini d'écrire, j'ai commencé à ressentir que je devenais un homme âgé. Mais rien n'est fini. Je ne me sens donc pas du tout soulagé. Je regrette de ne pas avoir pu laisser mon fardeau. J'ai cru que les choses seraient plus faciles pour moi mais ce ne fut pas le cas. J'ai pensé que ce serait plus facile comme je n'avais plus à écrire mais cela signifie seulement que l'oeuvre la plus éprouvante en second a été promue à la place de la plus éprouvante tout court -rires -.

Yom : De toute manière, nous pouvons voir au moins qu'il reste beaucoup de problèmes.
Miyazaki : Oui. Et Nausicaä le sait plus que quiconque.

Notes:

  1. Interview réalisée dans Yom, traduit du japonais par Ryoko Toyama et disponible en anglais dans les archives de http://www.nausicaa.net.
    Adaptation en français par T. Allais.
  2. Les dessins animés ont pris trop d'importance pour Miyazaki par rapport au cinéma. Trop de récompenses leur sont décernées.
  3. Après la fin de Porco Rosso où le personnage principal est un cochon, Miyazaki s'est mis à répéter le mot Buta (Cochon) de façon maladive, puis il a soudain prononcé celui de Tanuki. D'où l'idée de base de Pompoko. C'est la version officelle. ^-^
  4. Toshio Suzuki est directeur de Ghibli. Il se présente dans un de ses discours et a écrit un mot pour le festival de Corbeil-Essonnes.
  5. Les Ainu forment une ethnie vivant au Nord du Japon (Hokkaido, Sakhaline, Kouriles). à la fin du XIXème siècle, ils vivaient encore de pêche, de chasse et de cueillette. Les Japonais les ont convertis à la vie agrospastorale. Le mot Yukara désigne les contes et les mythes du folklore.
  6. Manga des années soixante écrit par Mitsuteru Yokoyama, également à l'origine de Giant Robot ou Sally la petite sorcière.
  7. Ces trois règles sont les suivantes
    a. Un robot ne doit jamais nuire à un être humain ou, par sa passivité, permettre qu'il soit fait du mal à l'homme.
    b. Un robot doit obéir aux ordres que lui donnent les êtres humains, sauf lorsque ces ordres sont en contradiction avec la première loi.
    c. Un robot doit protéger son existence, sauf lorsque cette protection entre en conflit avec les deux premières lois.
  8. Moine qui a commencé à enseigner le bouddhisme au Japon.
  9. Le récit de Totoro est sensé avoir lieu à Sayama.
  10. Le Japon a manqué de riz en 1993 et a du importer du riz étranger, en ouvrant son marché. Des bruits très chauvins se sont répendus pour discréditer le riz thai par exemple, dans le style "Il y a des insectes dedans". L'ouverture du marché du riz jusqu'à là très protégé a succité de nombreux débats quant à l'avenir de l'agriculture japonaise, subventionnée comme chez nous par l'Etat.
  11. Miyazaki parle des locaux du Studio Ghibli, dont il a fait les plans.

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