Sakura Yamauchi est une lycéenne extravertie entourée d'amis, tout le contraire d'un de ses camarades de classe dont elle ignore jusqu'au prénom et qui reste plongé dans ses livres toute la journée, en évitant le moindre contact avec les autres élèves. Le hasard les fait se renconter à l'hôpital, où le jeune homme découvre l'état de santé réel de Sakura. Avec quelqu'un qui n'a pas d'ami et qui semble surtout indifférent à son entourage, il n'y a guère de risque que l'information se propage mais la jeune fille tient à cacher la vérité à ses amis pour éviter qu'ils changent eux-aussi. En effet, elle ne supporte déjà pas comment sa famille surréagit à chaque fait et geste qu'elle effectue.

Une fois promis que le secret serait gardé, la relation avec l'illustre inconnu aurait pu s'arrêter là mais Sakura décide de s'immiscer dans son univers, d'abord en prenant un poste vacant à la bibliothèque où officie son camarade. C'est d'autant plus incongru qu'elle ne lit jamais, allant jusqu'à oublier fréquemment qu'il ne faut pas faire de bruit en ces lieux. Son objectif en s'incrivant est autre et elle entraîne son compagnon de fortune dans sa liste des choses qu'elle veut expérimenter au moins une fois dans sa vie. Les premiers items sont juste des visites de restaurants et de salons de thé atypiques des environs mais Sakura a aussi inscrit des expériences plus ambitieuses.

Le roman d'origine, initialement publié uniquement via internet, a confirmé son succès en 2015 quand il a été disponible sous format papier. Depuis, il a déjà fait l'objet d'une suite et de plusieurs adaptations, notamment sous forme de manga en 2016 et film live en 2017. La version animée s'appuie sur des bases solides et déjà plébiscitées par le public japonais.

Le thème de la jeune fille malade est loin d'être nouveau, de Clannad à Kanon en passant par If My Heart Had Wings pour ne citer que quelques visual novels. Le parallèle est immédiat avec Your Lie in April, pour citer un manga connu en France et notamment le caractère enjoué de Sakura qui rappelle celui de Kaôri Miyazono alors que les victimes alitées habituelles sont beaucoup moins énergiques et plus sages.

Kimi no suizô o tabetai, abrégé en KimiSui, ne fait cependant pas de mystère sur le destin qui attend l'héroïne du film, voir joue dessus pour arriver à un dénouement encore plus déchirant. L'intrigue porte surtout sur le personnage masculin qui évolue de manière ambiguë auprès de Sakura. En la fréquentant, il devient le centre d'attention de ses camarades qui ne comprennent pas qu'une si joli jeune fille puisse s'intéresser à un tel gars et il s'attire les foudres de Kyoko, la meilleure amie de Sakura, qui désapprouve aussi une telle relation. Il perd son statut d'anonyme en quelques jours et l'influence de sa nouvelle amie ne fait que commencer. En ce sens, cela renvoie encore à une comparaison directe avec Your lie in April, où Kôsei Arima est littéralement ressuscité au contact de Kaori.

Dans le cas de KimiSui, la relation est cependant plus ambigüe. Sakura a choisi pour confident un garçon imperturbable et sans ami, à la limite de la maladie chronique : il échappe par l'imaginaire de la lecture à la réalité qui le déçoit en permanence, allant jusqu'à modéliser avec des préjugés dans son esprit telle ou telle personne qu'il fréquente de loin plutôt que de vraiment la connaître. La situation convient parfaitement à Sakura, à l'image des femmes qui fréquentent des hommes mais mettent fin à toute relation avec ceux qui leur déclarent vraiment leur flamme. Le héro de KimiSui suit le chemin qui le mène à la normalité mais aussi à ses inconvénients, le rendant semblable aux autres amis de Sakura qu'elle n'a pas mis dans la confidence. D'un autre côté, elle-même ne semble pas sûre de ce qu'elle souhaite.

Les scènes clefs sont merveilleusement bien servies par la musique et l'animation, avec un soin constant apporté aux paysages tout au long du film. Le character design est dans la ligné des impressions réalistes que vous avez dans les personnages de The Garden of Words de Makoto Shinkai ou le travail de Nobuteru Yuki sur Orange. Un point appréciable est le changement de tenues des protagonistes, notamment Sakura qui aborde aussi des coiffures différentes. Cela change des économies de bouts de chandelles sur certaines productions qui optimisent le travail d'animation en le simplifiant. Le changement d'apparence n'est pas anodins et illustre parfaitement l'humeur de la lycéenne. Dans un cas, elle aborde une tenue décontractée – loin de son image proprette en classe – et quelques scènes plus loin, elle est au contraire élégante et mature. Le contraste est saisissant avec son alter ego masculin qui est soit dans son uniforme de lycée ou habillé d'une manière équivalente, avant là aussi de changer. 

Le reproche qui découle du design réaliste est cependant d'avoir une Sakura dont l'apparence est plus chasimatique qu'exubérante quand nous la découvrons, et plus embêtant, un personnage principal masculin avec un visage très figé qui évolue visuellement plus brusquement que l'histoire ne le dit et surtout que sa voix le laisse penser. Cela dessert certains passages, où le côté éploré est peut être trop poussé même si dans l'ensemble cela reste bien dosé. Mahiro Takasugi est peu connu pour le doublage mais il a joué dans plusieurs films notamment tirés de mangas. Lynn, la voix de Sakura Yamauchi, a plus d'expérience dans ce domaine et s'en sort très bien. Elle est la voix de Fûka Akitsuki dans Fûka ou encore Nozomi Kaminashi dans Keijo, dont les caractères ne sont pas trop éloignés de celui de Sakura.

La grande force du film KimiSui est de pouvoir véhiculer des messages subtiles, déjà de par l'intrigue du film et de sa symbolique, entre le promesses à tenir quoiqu'il en coûte ou le sens de certaines phrases tel que le titre complet du film ou bien quelques détails occulté pendant le récit et seulement révélés à la fin. Le nom du garçon fait parti de ces détails. Au delà de ces éléments, plusieurs scènes sont appréciables en dévoilant des images sans avoir besoin de rajouter des paroles pour donner l'information qui coule de source rien qu'avec le visuel. Le titre du journal intime tenu par Sakura qui reflète l'état d'esprit de la jeune fille et un simple geste de Kyoko ou de Sakura en dévoile plus sur elles qu'un long discours. En ce sens, la réalisation réussit son travail en évitant de surcharger les dialogues et fournit des temps de silence tout aussi riches.

En fin de compte, KimiSui est certes une histoire étudiée dès le départ pour faire pleurer dans les chaumières mais le film mène son sujet habilement, avec quelques éléments de surprise dans le scénario, des personnages attachants et une myriade de détails qui dépeignent bien l'atmosphère.