Animint

  Anime & manga

 
 
“Animint traite des dessins animés japonais et du manga. Outre ce blog, le site comporte plusieurs milliers de pages de texte illustré.”

Au revoir, monsieur Isao Takahata

Par le :: Divers

isao_takahata , 2018

Mardi 3 mars 1992. Je savais via GoToon sur la radio Superloustic qu'un festival du cinéma pour enfants se déroulait à Corbeil-Essonnes depuis 15 jours avec un large panel de films japonais d'animation dont les productions du studio Ghibli à découvrir, étant donné que le pays à l'honneur est le Japon cette année-là. La ville n'était qu'à 15 km mais le trajet en RER n'est pas direct et j'ai du investir dans un coupon hebdomadaire de carte orange pour que cela soit "rentable".

J'ai attendu patiemment le début des vacances scolaires mais saute encore le premier week-end pas couvert par le coupon puis je me suis décidé à m'y rendre à partir du mardi pour assister à la projection de Naushika dans la vallée du ventNausicäa de la vallée du vent mais j'aime bien laisser les titres traduits de l'époque. Mon but était de pouvoir visionner Totoro mais j'avais compris qu'il fallait que je mette une coche devant chaque film du studio Ghibli au programme.

Isao Takahata

Le théâtre où se déroulaient les projections n'est qu'à quelques minutes de la gare mais cela m'a semblé une éternité pour y aller le rejoindre à pieds alors que je ne me suis pas particulièrement perdu. Je m'attendais à payer le prix d'une place de cinéma – à tarif réduit – mais là, c'était juste 5 francs par séance – soit environs 1€ de 2018 à pouvoir d'achat constant. La salle était plutôt confortable et spacieuse par rapport à l'autre lieu de projection qui était un petit cinéma situé beaucoup plus loin de la gare. Ce jour-là les invités japonais étaient encore présents sur le festival et l'un d'entre eux a introduit le long métrage avant la projection. C'était Isao Takahata.

Beaucoup d'entre vous ont du voir au moins un des ses films au cinéma puis ont eu peut-être la chance de le rencontrer. Mon expérience incongrue est de l'avoir vu – quelque jours - avant de visionner l'un de ses films si vous considérez que Nausicaä est l'oeuvre de Hayao Miyazaki. Après, Isao Takahata a été producteur sur le film en dépassant le rôle d'un simple inspecteur des travaux finis. Nous lui devons par exemple l'arrivée du compositeur Joe Hisaishi, qui marquera le début de sa très longue coopération avec le futur studio Ghibli.

De l'intervention d'Isao Takahata, je garde en mémoire sa dernière remarque avant le début de la projection : Il était content de plusieurs scènes d'animation, notamment celle du début avec l'oomu, un peu comme s'il nous présentait un petit film expérimental et non pas le titre emblématique qui a marqué l'histoire de l'animation japonaise. Il a toujours eu son air gentil et désinvolte pendant les quelques fois que j'ai pu le croiser en temps que public par la suite en France.

Pour l'anecdote, le film Nausicäa était traduit en simultanée par japonaises comme dans la plupart des projections pendant le festival et n'était pas sous-titré du tout. Je ne m'y attendais pas du tout même si cela est devenu courant dans les premières conventions où j'étais ensuite et qui proposaient des projections. Concrètement, je n'ai rien capté à l'histoire du rôle de la forêt dans Nausicäa et j'ai revu le film la semaine d'après à une autre séance, même s'il ne m'avait pas enthousiasmé mais cela m'énervait de ne pas comprendre ce passage et je me disais que je n'allais pas revoir le long métrage de sitôt.

L'autre revers de l'expérience est qu'ignorant qui était Isao Takahata j'ai quitté la séance sans m'attarder pour la partie question réponses avec lui. J'ai rapidement regretté le rendez-vous manqué quand je me suis intéressé un peu plus sérieusement à l'animation japonaise dans les mois qui ont suivi mais je me suis rattrapé après, le réalisateur ayant participé à beaucoup de manifestations sur Paris, des festivals aux simples projections uniques.

Isao Takahata

Le premier film que j'ai pu voir de lui, toujours à Corbeil-Essonnes, est le Tombeau du ver luisant – encore cette traduction bizarroïde pour la Tombe des lucioles cette fois-ci. La réalisateur était déjà reparti et c'était l'une des premières séance du matin le mardi d'après Nausicäa. Justement, la scène avec les vers en gros plan m'avait choqué et je m'étais interrogé sur la présence du film dans un festival pour enfants, après avoir enchaîné Totoro, la Messagerie de l'ensorceleuse (Kiki la petite sorcière) et Laputa, le château dans le ciel. Quant à la scène du tout début avec la boite à bonbon qui perd son couvercle, je ne l'ai comprise qu'avec le dénouement et là aussi, cela a eu son petit effet.

Quelques années plus tard, j'ai lu la nouvelle originale d'Akiyuki Nosaka et j'ai été surpris par l'impact bien moindre de l'écrit par rapport à l'anime. Le roman relate moins de choses mais pour les faits communs, il décrit et explique posément de quoi il s'agit, alors qu'Isao Takahata laisse le soin au spectateur de découvrir sans chercher à expliquer.

Dans le long Extra Life autour de l'oeuvre d'Isao Takahata, Ilan Nguyên indique que les films du réalisateur apportent à être revus. Je ne suis pas un fan des films de Takahata dans le sens où je revisionne pas naturellement ses films ou même des séquences, à l'exception du Tombeau des Lucioles, où la musique de Michio Mamiya a fini par m'interpeller dans plusieurs scènes que ses compositions font entrer dans le panthéon de l'animation japonaise, en brisant le détachement presque documentaire du réalisateur face à la situation des deux enfants.

J'ai revu le Tombeau des Lucioles à sa première sortie au cinéma en France en 1996. Nous étions allés en petit groupe de connaisseurs et je me souviens du commentaire d'une maman dans la salle qui ne s'attendait pas à un tel film en y amenant son gamin mais bon, déjà que c'était sous-titré, ce n'était pas vraiment à la portée d'un gosse de 5 ans. De notre côté, nous avions réussi à sourire en remarquant les cinquante traductions différentes pendant le film à chaque fois que Setsuko disait "oni-chan".

J'ai aussi découvert Les souvenirs ne s'oublient jamais (Souvenirs goutte à goutte) à Corbeil-Essonnes. C'était le dernier jour du festival, l'autre séances ayant eu lieu un lundi soir trop tard pour moi. Sorti en 1991, le long métrage était mis en avant dans le programme de ce festival de 1992. Cependant, à part le final accompagné de la reprise en japonais de la chanson The Rose d'Amanda McBroom, je me souviens de m'être ennuyé et c'est effectivement un film que j'ai apprécié de revoir par la suite et sa bande originale est l'un de mes tous premiers CDs achetés en import en France.

Le film est un exemple de recherche d'archéologue qu'a pu faire le réalisateur pour dénicher les enregistrements d'époque des émissions pour enfants. Les analyses illustrent la masse de travail documentaire que peuvent s'infliger les réalisateurs pour coller au mieux à la réalité historique. Lors de la masterclass de Sunao Katabuchi sur Dans un recoin de ce monde, j'étais moyennement surpris par ce sens du détails – j'étais finalement plus surpris en découvrant par ricochet le travail tout aussi documenté de Fumiyo Kôno, la dessinatrice du manga d'origine.

Je vous fais grâce de mes souvenirs sur Heidi à la télévision française et je saute aussi Panda Kopanda mais Kié la petite peste, qui remonte à 1981, a fait partie de mes acquisitions sous forme de Laserdisc que je t'ai demandé d'acheter, à un proche qui allait à Tôkyô. J'ignorais tout du film si ce n'est qu'il était dirigé par Takahata et j'ai été pour le moins surpris en découvrant mon acquisition et ai eu du mal à entrer dans l'histoire sans script traduit sous la main. Depuis, il est heureusement sorti en France mais je n'accroche pas tellement, contrairement à Pompoko paru en 1994. 

Isao Takahata

Pompoko est sorti alors que le studio Ghibli était encore sur la dynamique de produire tantôt un film pour Miyazaki puis le suivant pour Takahata. Nous n'avons pas eu à attendre trop longtemps pour avoir l'occasion de voir le film en France car il a été projeté au festival du film de Paris en juin 1995 dans la lancée de sa présence au festival d'Annecy où il a remporté le prix du meilleur long métrage.

À Paris, je me souviens du propos un peu gêné de la présentatrice qui nous prévenait qu'il serait question de roubignoles. Avec le recul, le propos est dur mais sur l'instant j'avais vraiment apprécié les scènes de magie, que ce soit la parade ou le plongeon dans le paysage du passé, ou ne serai-ce que la scène de transformation en animaux devant les journalistes. Le côté réaliste est un peu mis de côté et rend le long métrage plus facile d'approche alors que Souvenirs goutte à goutte aurait pu être filmé en prise de vue réelle.

Pompoko est mon film préféré d'Isao Takahata via ces scènes formidables et mémorables qui font pour moi le critères d'un bon Ghibli. Quand j'en perçois peu ou prou, j'oublie rapidement le film. Il est finalement sorti tardivement en France, en 2006 alors qu'une œuvre plus ancienne et a priori moins vendeuse Horus le prince du Soleil a eu droit à une sortie en 2004.

Il était un peu étonnant de voir sortir en France plus de 35 ans après le premier long métrage d'Isao Takahata au sein de la Toei, qui remonte à 1968. Le film lui-même m'a peu marqué mais son importance est évidente dans la carrière du réalisateur avec la participation d'un certain Hayao Miyazaki, le tout dans un contexte conflictuel au sein du studio d'antan. C'était aussi l'occasion d'une projection en présence d'Isao Takahata au festival Nouvelles images du Japon en décembre 2003 au forum des images, un lieu où il est souvent intervenu au fil des années.

Pas avare de son temps, alors qu'une projection avait lieu dans l'après-midi sans période prévue après pour vraiment discuter, une conférence a été improvisée dans un des halls du forum avec Isao Takahata assis au milieu de la foule. En répondant à une question sur le passage de témoin et la formation de nouveaux talents, il avait évoqué le travail effectué avec Yoshifumi Kondo, le réalisateur de Si tu tends l'oreille décédé en 1998 et conclut de manière assez abrupte que c'était terminé. Son propos triste au milieu d'un échange impromptu d'une heure avec le public sur divers sujets, m'a marqué.

Isao Takahata

Je retiens aussi son passage au festivals Nouvelles images du Japon de décembre 1999 avec la projection de Mes Voisins les Yamada, sorti l'été de la même année au Japon. Le film avait fait un bon score au box office là-bas et même si le dessin des personnages m'avait rebuté, j'ai sauté sur l'occasion de le découvrir en présence du réalisateur. La première surprise en guise de préambule est de découvrir que le film est le travail le plus abouti au sein du studio Ghibli en terme de maîtrise des technologies numériques. Le film est plaisant avec des gags percutants mais là aussi, j'ai mis du temps à l'apprécier et à écouter plus attentivement la bande originale en faisant abstraction du générique de fin Hitoribocchi ha Yameta.

J'ai découvert Gauche le violoncelliste grâce à cette édition 1999. Ignorant la filmographie du maître japonais, j'avais complètement zappé "Goshu joue du Violon" à Corbeil-Essonnes avant de découvrir ce film musical d'une heure. Isao Takahata nous expliquait que la bande originale a été enregistrée avant les dessins pour avoir la meilleure synchronisation possible mais qu'en revoyant le film, il trouvait des passages qui ne collaient pas bien avec la gestuelle du chef d'orchestre.

Son dernier passage au Forum des images est à ma connaissance cet entretien en novembre 2016 avec Michael Dudok de Wit, le réalisateur néerlandais de la Tortue Rouge

Un de mes vagues souvenirs concerne également une conférence là-bas que le réalisateur sur les emakimono, les rouleaux peints traditionnels qui offrent un système de narration horizontale illustrée. C'était la passion du réalisateur qui ne cachait pas leur influence dans son dernier film, le Conte le la princesse Kaguya. Par rapport au titre original japonais Kaguya-hime no monogatari, Isao Takahata aurait préféré une traduction plus littérale avec histoire plutôt que conte qui traduit une ambiance féerique alors que là n'est pas son propos. 

N'étant allé à aucun festival ou autres avant-première, j'ai vu tout simplement le film à sa sortie cinéma en France. J'ai du mal avec le dessin mais plusieurs scènes se démarquent et effectivement, le film gagne à être revu plusieurs fois, à prêter un plus attention à quelques menus détails. Le film m'a un peu plus touché au deuxième visionnage.

Isao Takahata

Isao Takahata laisse derrière lui une belle filmographie mais il faudra aussi retenir ses apports directs ou indirects dans les techniques d'animation. Si vous avez pu visiter l'exposition quai d'Austerlitz sur les layouts du studio Ghibli, vous avez pu remarquer les panneaux réservés à la période avant Ghibli, notamment sur Heidi où le système a été mis en place. Quelques éléments montraient également le niveau d'exigence du réalisateur et les difficultés que devaient surmonter les animateurs sur ses derniers films.

Pour une approche plus technique de ses travaux, je vous renvoie à l'ouvrage Isao Takahata Cinéaste en animation qui analyse ses premières réalisations en allant au-delà de la simple remarque "c'est fluide" ou "c'est beau". Je l'ai déjà mis le lien dans le texte mais vous pouvez visualiser le talk show Extra Life chez notre voisin de palier Catsuka – encore sur Noco pour quelques jours avant la disparition de la chaîne Nolife -, une émission enregistrée lors de la sortie du Conte de la princesse Kaguya en France et qui aborde la carrière d'Isao Takahata. Les mauvaises langues diront qu'il s'agit surtout d'un monologue d'Ilan Nguyên, spécialiste des films d'animation japonais et traducteur qui a souvent accompagné Isao Takahata dans ses déplacements en France. L'émission dure près de 3 heures mais le propos reste passionnant.

Isao Takahata

Monsieur Isao Takahata qui a offert au monde tant de chef d'oeuvre d'animations pendant tant d'années est décédé le jeudi 5 avril 2018 à 1h19 du matin à l'hôpital de l'école de médecine de Teikyo University.

La cause du décès est un cancer du poumon, il avait 82 ans.

[…]

Nous organiserons une cérémonie d'adieu le 15 mai. Nous vous recontacterons dès que les détails seront décidés. Veuillez attendre jusque là.

Kiyofumi Nakajima

Président du Studio Ghibli
http://www.ghibli.jp/info/012850/

Discuter de ce billet sur le forum - - Laisser un commentaire »

Cet article vous a plu?

Faites-le connaître ou votez pour cet article sur les sites suivants :

  • anime manga aggregator sama
  • Partager sur del.li.cious
  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Google

Ajoutez votre commentaire:

Merci de bien vouloir soigner votre orthographe et de proscrire le style SMS.


Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

 

↑ Haut de page