Animint

  Anime & manga

 
 
“Animint traite des dessins animés japonais et du manga. Outre ce blog, le site comporte plusieurs milliers de pages de texte illustré.”

Planète manga - Conférence de Moto Hagio

Par le :: Manifestations

mangas , 2011 , animes , osamu_tezuka

Après m'être plongé dans les débuts de l'animation japonaise le samedi, j'ai enchaîné le dimanche avec la conférence de Moto Hagio, l'une des figures historiques du manga, notamment shôjô et science fiction. La mangaka a eu un programme chargée, avec un atelier de 4 heures au centre Pompidou, avant de terminer, moins d'une heure plus tard, par cette conférence, qui a duré 2 heures pleines!

L'entrée étant libre et la petite salle n'ayant que 150 places, je suis venu à l'avance mais finalement, s'il y eu du monde à l'ouverture, ce n'était pas non plus la cohue, l'heure et l'endroit n'étant pas propice à faire venir ceux qui passaient par hasard.

Planète manga

L'organisation était simple, avec deux intervenantes, Moto Hagio et Hiroko Uchiyama, une professeur à l'université de Joshibi, qui conduisait en fait cette séance, en présentant des diapositives à l'écran. Cela me rappelait quelque part la session dirigée par Yoshihiro Shimizu sur le travail d'Osamu Tezuka, mais ici, le contenu était moins rigide et traduit en simultanée par Ilan Nugyên.

Moto Hagio est professeur invité depuis 2011, à l'université Joshibi, la plus ancienne école d'art au Japon réservée à la gente féminine et plus particulièrement au département Cross Disciplinary Art & Design, qui embrasse les nouvelles technologies, l'animation et le manga, entre autres.

Planète manga

Sans surprise, nous avons eu une rétrospective de la production de Moto Hagio, via ses titres les plus connus : Son grand récit primé de science fiction, Ils étaient onze, son histoire de vampires Le Clan Poe, puis son titre phare shônen-aï romantique, Le coeur de Thomas. Ont également été cités Star Red, La fille Iguane, ou encore A-A', où un clone remplace l'original.

En tout, en plus de 40 ans de carrière, Moto Hagio totalise plus de 200 récits et 20 millions d'exemplaires vendus, en touchant un lectorat très large, bien au delà du public féminin adepte de shôjô manga.

Planète manga

La mangaka est intervenue ensuite pour revenir sur ses tous premiers pas dans le manga, en rappelant l'influence d'un Osamu Tezuka sur les enfants futurs mangaka, dont elle a pu faire partie. Elle se souvient avoir commencé à dessiner en découpant sa page à l'aide de cases pour y raconter des histoires de pauvres filles qui deviennent des princesses et où tout se finit bien.

Plus sérieusement, elle reconnait que des auteurs se souciaient déjà du lectorat féminin, plus propice à suivre des oeuvres plus psychologiques, en mettant en exergue une certaine dimension intérieure. Motto Hagio revendique une touche féminine plus perspicace que pour ses homologues masculins sur plusieurs sujets, avec par exemple une perception de l'infini qu'elle considère plus ancrée chez les filles et moins abstraite que chez les hommes.

Historiquement, Moto Hagio est l'un des membres du groupe de l'An 24, la première vague d'auteurs féminins venus bousculer le shôjô manga avec leur propre perception. Retenez que vous trouvez aussi dans le groupe qu'il s'agit de la même génération que Riyoko Ikeda (La rose de Versailles, Très cher frère), Yumiko Ôshima (L'idole étoile de la contrée du coton) ou bien Keiko Takemiya, l'auteur de Terra e..., que vous aurez peut être le plaisir de rencontrer en conférence le 3 mars prochain, au centre Pompidou.

Pour Moto Hagio, la bande dessinée est un média très riche capable de marier l'écrit avec une communication graphique spécifique. Le shôjô manga évolue en suivant son époque et le meilleur exemple est l'influence des jeux olympiques de Tôkyô en 1964, qui a fait fleurir une flopée d'histoires d'équipes féminines de volley ball, alors que le sport n'était pas franchement un thème de prédilection  pour les filles, jusqu'alors.

Planète manga

Après cette longue introduction, la présentation s'est articulée autour des oeuvres de l'auteur en s'arrêtant plus ou moins longuement sur des photos de planches originales.

Le premier titre abordé a été Ils étaient onze, dont je rappelle l’existence d'un long métrage éponyme, et qui relate les épreuves endurées par des cadets de l'espace, alors qu'ils doivent vivre en autarcie dans un vaisseau spatial, en compagnie d'un intrus. Pour son histoire, la mangaka s'est vaguement inspirée d'un roman, qui mettait en scène 10 enfants dans une maison abandonnée, en transposant le schéma de la vie actuelle à un récit de science fiction.

Plus que sur l'oeuvre, Moto Hagio est revenue sur l'atelier qu'elle a d'abord expérimenté au Japon le mois dernier, où des élèves japonais devaient construire une nouvelle couverture. L'atelier de dimanche au Centre Pompidou était similaire, renouvelé avec des adolescents plus ou moins jeunes, qui ont visiblement été enchantés.

En voyant le résultat, la mangaka a retenu une influence très forte des manga, des anime et des jeux vidéo dans les travaux rendus par les jeunes japonais, alors qu'elle ne l'a pas senti chez ses élèves français, qui ont montré une expression plus directe, selon elle.

La première analyse de planche s'est faite avec un extrait de Bianca, qui semble tiré tout droit de la littérature anglo-saxonne du XIXème siècle et un exemple du travail classique de Moto Hagio en shôjô qui reprend tous les codes graphiques du dessin pour jeunes filles, des fleurs aux grands yeux  arrondis. L'auteur a dit elle-même qu'il ne manquait plus que les étoiles dans les yeux pour faire plus cliché.

Planète manga

Dans la page d'introduction du clan Poe, la construction est plus recherchée, avec un effet de mouvement de caméra en passant d'une case à l'autre, où depuis une fleur en gros plan, nous nous éloignons puis nous découvrons enfin le personnage principal. Le message répété pendant la conférence a concerné ce soucis de guider le lecteur, de focaliser son regard et de jouer avec les effets graphiques pour accentuer ou susciter des sentiments.

Il est à nouveau de question de découpage en visualisant les pages suivantes, traversées par de longues cases horizontales, venue marquer le vent qui souffle tout au long de la scène.

Je ne rentrerai pas dans les détails, mais Hiroko Uchiyama a isolé d'autres cas pour illustrer cette agilité à composer la mise en page, avec par exemple, la mort qui traverse les cases pour s'emparer d'un personnage dans Le coeur de Thomas ou bien un rêve lointain au propre et au figuré dans les prémices de Star Red.

Les analyses étaient énoncées par la professeur d'université, tandis que la magaka complétait le propos avec quelques détails ou anecdotes. Ainsi, elle a rappelé qu'en parallèle, elle était en train d'étudier les anciens vêtements occidentaux au moment de dessiner Le clan Poe, et qu'elle a pu mettre en pratique son savoir fraîchement acquis, pour habiller sa famille de vampires, figés dans la mode des années 1880.

A ce petit jeu, nous avons passé en revue presque une dizaine de pages rien que pour Star Red, mais l'auteur tenait à nous faire découvrir ce titre, en espérant qu'il puisse paraitre un jour en France.

Planète manga

Au delà de la construction théorique des pages – et de tout la richesse dont peut être capable une mangaka pourtant rabrouée à l'époque pour ne pas faire de décors -, la résurgence des planches brutes depuis des archives dévoile aussi une partie du processus de fabrication. Outre les textes collés ci et là, nous voyons que Moto Hagio a utilisé des pages déchirées d'un carnet de croquis. C'est juste pour une question d'économie, le papier étant moins cher sous cette forme qu'en feuilles séparées.

Dans certains montages, Hiroko Uchiyama a repéré des contrastes saisissant pour opposer les tâches de plusieurs personnages qui évoluent en parallèle, en s'avançant dans quelques explications philosophiques. Moto Hagio est revenu sur l'un d'eux, en expliquant qu'il s'agissait simplement d'un exercice de style pour économiser des cases, le nombre de pages étant limité.

Sur le fond, la mangaka souligne en revanche certains thèmes récurrents, tel que le déclin de sociétés modernes, qui perdent de leur énergie vitale, puis qui doivent leur salut en retrouvant leurs racines et leur force originelle. Il s'agit d'un motif que vous retrouvez dans les deux oeuvres qui ont été abordées ensuite, Le triangle d'argent et Marginal.

La conférence s'est achevée sur une note mélancolique avec le parcours complet du Saule, une nouvelle quasiment sans paroles, à rapprocher pour le coup des ouvrages de la bien moins connue Kita Konno.

Planète manga

Avec un tel contenu, le temps imparti était quasiment écoulé, ne laissant guère d'espace pour une séances de questions réponses, réduites au nombre de 4, dont une de la part d'un des organisateurs et dont deux ont été posées en japonais.

Boris Tissot, le commissaire de l'événement au Centre Pompidou, a demandé comment Moto Hagio arrivait à basculer d'un genre à l'autre, entre l'exemple du Saule, quand même bien ancré dans la réalité et d'autres thèmes plus orientés science fiction et fantastiques.

La mangaka considère qu'elle n'est pas complètement en prise avec le monde réel, comme si elle avait une pièce défectueuse quelque part et sa perception de sa propre réalité n'est pas si différente de l'univers de la science fiction. A ce sujet là, elle a mentionné le conflit larvé qui perdure avec ses parents qui ont toujours refusé de considérer son emploi de mangaka comme un vrai métier, ce qui lui fait dire qu'elle n'est pas dans un monde qui existe vraiment. Son manga, La fille Iguane, où une jeune fille se prend pour une iguane, est quasiment un manga thérapeutique, à peine imagée par rapport à ce qu'elle a pu ressentir en étant rejetée de la sorte.

La question suivante était attendue, étant donné que Moto Hagio est la pionnière du shonen aï avec Le coeur de Thomas. On l'a interrogé sur son premier titre du genre et sur comment il avait été perçu et son avis sur le genre yaoi aujourd'hui. Dans sa réponse, la mangaka a plutôt abordé la genèse de son titre, : Au début, elle a pensé prendre des personnages féminins, mais elle les voyaient plus emprisonnées par les valeurs traditionnelles de la société, que si cela avait été des garçons, plus libres selon elle, et avec finalement un impact plus fort.

Aujourd'hui, par le truchement de l'Université, elle est amenée à rencontrer des élèves qui apprécient de plus en plus le yaoi, sans pour autant être gays, mais pour le genre propre. Elle-même, considère les histoires d'amour classiques, entre un homme et une femme, beaucoup moins intéressantes à retranscrire.

Planète manga

Le point d'après concernait le problème potentiel de dénaturation de ses oeuvres via une traduction, mais Moto Hagio ne semble pas trop s'en soucier, vue qu'il reste le message graphique.

Enfin, quand quelqu'un lui a demandé ce qu'elle pensait des adaptations diverses de ses oeuvres en films ou au théâtre, la mangaka a expliqué que dans le passé, elle avait beaucoup d'attente, pour parler du positif, ou bien de craintes, au contraire. Cependant, elle a finalement accepté que dès lors que ses mangas étaient repris par quelqu'un d'autres, il s'agit d'une oeuvre nouvelle et concrètement, il suffit qu'elle trouve un aspect satisfaisant dans l'adaptation pour qu'elle donne son accord.

Sur le coup, j'ai été un peu déçu  qu'il n'y ait pas eu plus d'échanges avec le public, les gens ayant pour une fois des questions et étaient visiblement connaisseurs – certaines personnes ont parcouru plusieurs centaines de kilomètres pour venir la voir – d'autant plus que la séance a duré longtemps.

Je ne rapproche pas le thème de l'exposé, où pour une fois, il a été plus question des oeuvres que de son auteur, même si leur forme graphique a été abordée plus en détails que leur fond ou leurs thèmes. J'aurai préféré un peu moins d'exemples dans la présentation d'Hiroko Uchiyama pour faire plus court, avec aussi le regret d'entendre Hagio Moto qu'en filigrane, alors qu'elle pouvait être pourtant très diserte.

Pour finir, si vous avez envie d'en savoir plus sur la personne d'Hagio Moto cette fois-ci, je vous renvoie à cette interview conduite par Matt Thorn – tout en anglais -, qui remonte à quelques années  maintenant, mais qui retrace bien toute la carrière de la mangaka.

Planète manga

Discuter de ce billet sur le forum - - Laisser un commentaire »

Cet article vous a plu?

Faites-le connaître ou votez pour cet article sur les sites suivants :

  • anime manga aggregator sama
  • Partager sur del.li.cious
  • Partager sur Facebook
  • Partager sur Google

Commentaires sur ce billet:

  1. Le 22/02/2012 à 21:44
    Gemini a dit

    Amusant qu'elle revienne sur La Fille Iguane et Bianca, qui sont pourtant des titres très courts. Mais d'un autre côté, ses histoires courtes témoignent de la diversité de son travail, et de son grand talent. Je conseille à tout le monde de se procurer A Drunken Dream, sorti aux US. Un très grand manga.

    Quelques précisions :
    - Riyoko Ikeda n'a pas fait parti du Groupe de l'An 24. Ce groupe officieux existent car ses membres se réunissaient régulièrement, mais Riyoko Ikeda n'était pas de celles-là.
    - Quitte à traduire en français, j'aurais plutôt dit "L’Étoile du Pays du Coton".

  2. Le 23/02/2012 à 09:04
    Little Yokai a dit

    Merci beaucoup pour cet article qui me permet d'avoir un bon aperçu de ce qui s'est dit durant cette conférence que j'ai regretté de ne pas pouvoir aller voir.

  3. Le 28/02/2012 à 10:00
    Kreb a dit

    Salut,

    j'étais aussi présent lors de cette conférence et je pense que tu n'as pas mentionné la gaffe de traduction avec la confusion en Shojo et Josei de la part du traducteur.

    Les choix des oeuvres présentées reflète les préférences personnelles de l'universitaire accompagnant Moto Hagio. j'ai au moins découvert Red Star.

    Iguana Girl est l'oeuvre la plus autobiographique de l'auteur et est celle qui lui a permis d’exorciser sa relation très compliquée avec sa mère. Elle n'aurait pas sans ce jalon faire des oeuvres ancrées dans un univers contemporain.
    (cf http://www.jpf.go.jp/JF_Contents/GetImage/img_pdf/jbn63.pdf?ContentNo=9&SubsystemNo=1&FileName=img_pdf/jbn63.pdf)

    Normalement Moto Hagio serait présente lors de la Japan Expo en juillet et vendrait un doujin à cette occasion.
    => un hyper collector à revendre sur Ebay japan à prix d'or.

    En aout il y Heart of thomas de prévu aux States.
    (cf http://www.fantagraphics.com/browse-shop/the-heart-of-thomas-aug.-2012-2.html)

  4. Le 14/03/2012 à 08:01
    Dans Le Monde du manga #18 | BoDoï, explorateur de..., il a été dit

    [...] Vous pourrez donc revivre la conférence sur l [...]

  5. Le 19/06/2012 à 11:24
    Dans 2012, une année française pour Moto Hagio |..., il a été dit

    [...] voudraient lire un compte rendu de sa conférence du 4 mars au Centre Pompidou, rédigé par Paoru: http://www.animint.com/blog/000495-planete-manga-conference-moto-hagio.html Share this:TwitterFacebookJ'aime ceci:J'aimeBe the first to like this. Cette entrée a été [...]

  6. Le 17/12/2012 à 00:12
    Dans Le..., il a été dit

    [...] de ce ressenti que sont nées les deux [...]

  7. Le 27/09/2013 à 15:16
    Dans Le Monde du manga #18 | BoDoï, explorateur de..., il a été dit

    [...] Vous pourrez donc revivre la conférence sur l [...]

  8. Le 28/10/2015 à 08:40
    Dans Le..., il a été dit

    [...] a donné au Centre Pompidou en 2012 (2h de conférence !) dont vous pouvez également lire un compte-rendu sur le blog [...]

  9. Le 05/07/2018 à 22:08
    Dans Parcours de lectrice à travers 10 manga –..., il a été dit

    [...] Bref, j’étais charmée. Mais le clou fut enfoncé lors de la conférence sur Moto Hagio (en sa présence) lors de Planète Manga: je découvre ses titres de SF, en particulier Marginal et [...]

Ajoutez votre commentaire:

Merci de bien vouloir soigner votre orthographe et de proscrire le style SMS.


Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

 

↑ Haut de page